L’« arctiviste » togolais défend un rap politique et panafricain. Il est aussi l’invité de Néo Géo.
Souvent décrit comme un « arctiviste » (pour « activiste musical ») parce qu’il appelle et invite les Africains à renouer avec eux-mêmes, l’artiste togolais Elom 20ce défend un rap politique et panafricain, et ne cesse de rendre hommage à son continent dans ses chansons ou ses clips, hantés par l’injustice sociale, le besoin de liberté, le panafricanisme, et par autant de thèmes qui nourrissent sa révolte. Dans Néo Géo, au micro de Bintou Simporé, il nous présente, quatre ans après le précédent album Indigo, son nouvel album Amewuga, sorti début février.
Pouvez-vous nous présenter Amewuga, votre nouvel album ? Quelle en est l’histoire ?
L’album traite beaucoup de la transmission. Sur la pochette par exemple, figure mon fils. Dans mon précédent album Indigo, c’était ma mère sur la pochette. C’était intéressant pour moi de faire un album qui s’ouvre avec le titre « Egungun », l’esprit messager entre la vie et la mort, et finit par la piste où j’ai un entretien avec mon fils à ce sujet. Amewuga, le titre de mon disque signifie « l’être humain est plus précieux que les biens matériels ». Je l’ai dit à travers des morceaux très intimes, mais aussi des morceaux plus politiques et sociaux.
Vous vous présentez souvent comme un « arctiviste », un néologisme que vous avez créé. Est-ce qu’il renvoie à un mélange d’activités ?
Je pense que chaque artiste est un peu « arctiviste ». Pour moi, Nina Simone, par exemple, c’est une rappeuse et elle fait partie, avec Miriam Makeba, de mes rappeuses préférées. À un moment, être artiste c’est aussi pouvoir prendre position. Et prendre position, c’est le privilège de dire des choses. Donc oui, j’ai voulu préciser cela, parce que parfois cet activisme ne m’ouvre pas certaines portes. On me dit « Elom, ce que tu fais c’est bien, mais c’est compliqué » et c’est un peu l’histoire de Nina Simone, de Miriam Makeba qui ont dû quitter leurs pays (Nina Simone termine sa vie en France, tandis que Makeba a passé beaucoup de temps en Guinée). Donc oui, c’est quelque chose que j’assume totalement.
À un moment, être artiste c’est aussi pouvoir prendre position.
Vous, vous êtes restés au pays tout en étant assez critique. Vous vous exprimez. Il y a peu de temps, vous avez présenté une vidéo pour l’exposition LOME+ au nouveau Palais de la Culture de Lomé. C’est un événement très officiel…
C’est très officiel. Je pense que c’est ça le challenge, quand je parle d’Impossibles Imminents, et ce projet j’ai justement voulu le faire là-bas. Je me suis dit que c’était important de donner la parole à des gens qui, peut-être, n’auront jamais l’opportunité de visiter cet endroit, parce qu’ils s’imaginent justement quelque chose de très officiel. Mon but c’est aussi d’emmener les gens là-bas. Donc j’aurais pu refuser mais j’ai eu du plaisir à le faire. Je suis aussi inspiré par les Nina etc, et donc je peux voir les erreurs que ces personnes ont pu commettre et ne pas les refaire. Je pense qu’aujourd’hui, le plus gros défi pour l’Afrique, c’est de rester en Afrique, même si c’est dur, et de faire des choses là-bas.
Sur ce premier clip, c’est Blacky qui s’exprime en français et en ewé et mina qui sont les langues parlées dans le Golfe de Guinée, du Bénin au Ghana. Blacky vend des mouchoirs et des bricoles dans la rue, mais il a des rêves. Il parle même d’agriculture bio, et c’est très étonnant finalement de voir ces jeunes qui n’ont jamais la parole et qu’on croise indéfiniment quand on va au pays et font les petits boulots de l’informel, mais ont des choses à dire.
Il a de grands rêves, de beaux rêves. L’idée c’était de montrer des déclassés, des gens qui font des choses et se battent tous les jours. Blacky, c’est un fan et il venait aux concerts. Il insistait pour avoir mon numéro et il demandait des références : qu’est-ce que tu as dit à ce moment-là qu’est-ce que ça veut dire ? Donc je me suis rendu compte qu’il était très intéressé, et je l’ai rencontré. Il m’a raconté son histoire, et je me suis dit qu’il fallait faire un documentaire sur lui. Je pense que c’est cette Afrique-là qu’il faut montrer : celle des jeunes qui se battent, qui n’attendent personne, qui font des choses… Ce sont des jeunes adultes. Lui, il a 24 ans et il prend soin de son frère. C’est quelqu’un de responsable.
La série présente d’autres jeunes : il y en a un qui travaille dans un cimetière…
Il y en a un qui est effectivement fossoyeur dans un cimetière, un qui est moto-taxi. Ça, c’est la série des hommes, et l’autre série, celle des femmes. Elle présente notamment Kesita, une artiste reggae très connue, mais qui a malheureusement subi une expérience que beaucoup de femmes vivent dans nos sociétés et dont on ne parle pas : le viol quand elle était gamine. Beaucoup de gens jugent cette artiste parce qu’elle est un peu dure. Quand le documentaire est sorti, le public a été plus indulgent. Il y a aussi Lex, qui est une femme androgyne. Elle fait de la moto, donc un travail inhabituel pour une femme. Je dirais qu’elle n’est pas vraiment mal vue, mais elle fait réfléchir les gens. Pour finir, il y a Berta, une femme portefaix à Lomé, une ville frontière, et je trouvais ça intéressant de montrer ce qu’est une capitale frontière à travers quelqu’un. Elle élève six enfants toute seule, mais elle a un sourire immense, le soleil quoi.
Vous rappez, vous créez des musiques, mais vous aimez aussi le multimédia. Vous vous exprimez à travers différentes formes…
Oui j’ai commencé avec la musique, aujourd’hui je fais beaucoup de vidéos, des documentaires, j’ai une marque de vêtements aussi… Je pense que ce sont des outils pour exprimer des choses. L’Afrique est belle, il faut que l’on reprenne possession de nous-mêmes (…) Ce qui ne veut pas du tout dire le rejet des autres, et je crois que c’est très important de le préciser, parce qu’on est toute une grande famille dans le monde, mais chacun a ses spécificités. Je pense que pour avancer, pour comprendre, il faut savoir qui on est.
Quant au titre de ce rap, « Le sang de la bougie », d’où vous est venue l’inspiration ? Et comment avez-vous choisi vos deux invités ?
L’inspiration m’est venue de mon fils. Je trouvais l’image belle. C’était au moment d’une coupure d’électricité comme il y en a souvent dans les pays d’Afrique et mon fils me dit : « Regarde papa le sang de la bougie », j’ai dit « non c’est la cire », il a dit que « c’était le sang de la bougie, comme le feu qui brûle la tête ». Et j’ai trouvé l’image belle, ça m’a fait penser à toutes les luttes : comment on doit se sacrifier, voire comment la bougie se consume pour éclairer les autres, et aussi au côté spirituel des choses…parce que la bougie est utilisée dans beaucoup de rituels. Participent à ce morceau le nigérien Moodenine et de France, Rocé. J’ai appelé ces deux personnes parce que je trouve que ce sont des gens très endurants, qui n’ont pas la notoriété qu’ils méritent. Moodenine il est nigérien, il est retourné en Angleterre. Rocé, je trouve que c’est un très grand rappeur qui n’a pas le succès qu’il mérite. Et j’ai pensé au sang de la bougie.
Quels sont les rappeurs que vous fréquentez en France ?
Il y a des rappeurs qui ne sont pas très connus, il y a Sitou Kouladjé, Lasmo, donc ma bande un peu. Ce ne sont pas des rappeurs très connus, mais ils sont très forts. Dans ceux qu’on connait il y a Oxmo, Rocé, Bavar de la Rumeur, la Rumeur en général. Ce sont des gens que j’aime énormément musicalement.
Et les rappeurs qui s’inscrivent dans un mouvement de rap plutôt engagé ?
Oui, ce sont des gens qui ont des choses à dire. Aujourd’hui, je me méfie beaucoup du terme engagé donc je préfère dire des gens qui ont des choses à dire. Même, l’amour c’est quelque chose. Les gens parlent d’amour de manières différentes, et j’aime ces gens-là. Moi ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est les concepts, je pense qu’un artiste doit créer tout le temps et ce que je propose aujourd’hui en concert, c’est à la fois de la vidéo, à la fois des performances en plus du rap. J’étais à Lille récemment dans le cadre du festival DIRE et ça a très bien marché : j’ouvre mes concerts avec un documentaire Impossibles Imminents, je finis avec un documentaire Impossibles Imminents et tout le concert est conçu comme une performance en trois temps : le côté spirituel, le côté très intime et ensuite le côté politique.
Impossibles Imminents… Quel est le message ?
On essaie le possible, et ça n’a pas marché, alors on essaie l’impossible. C’est de dire que tous les changements qu’on veut, sont là, il suffit juste qu’on l’accepte et qu’on y croit, et ce, dans tous les sens du terme.
On croisera bientôt Elom 20ce au festival FESTA2H, à Dakar.
L’intégrale de l’émission Néo Géo du 16 février avec Elom 20ce à écouter ici.
Visuel en Une © Facebook de Elom 20ce