Via sa tribune dans Libé signée par plus de 200 artistes, cet auteur des bords de Loire réclame la régularisation du statut des écrivains, scénaristes, traducteurs, illustrateurs, plasticiens et photographes, fragilisés par la crise.
« Monsieur le Président, trouvez-vous cela normal qu’un auteur qui a vendu plus de 10 000 exemplaires d’un livre sur une année ne puisse pas en vivre alors qu’un musicien ou un comédien qui aura joué devant 10 000 personnes en vivra dignement ? » Cette question, formulée par l’écrivain Emmanuel Ruben dans sa tribune publiée vendredi dernier dans Libé sous le titre Pour une intermittence des arts et des lettres : une utopie concrète et réalisable, devrait être répétée ad lib, au mégaphone, sous les fenêtres de l’Elysée, de Matignon et du ministère de la Culture, voire à la sortie de toutes les librairies, à chaque fois que quelqu’un se paye un bouquin. Dans cette France qui s’enorgueillit sans cesse du rayonnement de sa culture, il est tout de même étrange que les écrivains, scénaristes, traducteurs, illustrateurs, plasticiens et photographes en soient toujours plus ou moins réduits à galérer pour vivre de leur art, dans l’attente d’un hypothétique succès. Au pays de Molière, on protège les acteurs, les metteurs en scène ou les musiciens, mais pas les auteurs. Le cliché de l’artiste qui écrit de nuit à la bougie, entre deux boulots, a la peau dure – et les gouvernements se succèdent sans y prêter attention.
« Géographe défroqué » qui parcourut 4000 kilomètres à vélo d’Odessa à Strasbourg pour son livre Sur la route du Danube (éditions Rivages, 2019), Ruben écrit : « Lorsqu’un intermittent se produit devant 10 000 personnes, il est tenu compte des heures dévolues à la maîtrise du texte, à l’élaboration de la mise en scène et aux répétitions, travail souterrain qui représente 95% du temps passé, sinon plus. Quand nous passons des mois en recherches préliminaires, et parfois des années en écriture, réécriture, corrections, ne serait-il pas aussi naturel que ce temps souterrain soit aussi reconnu ? »
Signée par plus de cent cinquante artistes (parmi lesquels : Nicolas Mathieu, Alice Zeniter, Hélène Gaudy, Emmanuel Lepage, Etienne Davodeau, ou encore le coordinateur de ce podcast), la tribune propose trois mesures susceptibles d’enrayer la précarité des artistes de l’image et de l’écrit, plus que jamais fragilisés par la crise sanitaire, afin de leur assurer retraite, chômage et revenus stables, en taxant par exemple « la vente des oeuvres tombées dans le domaine public, soixante-dix ans après la mort de leur auteur. Reprise ces dernières années par la Société des Gens De Lettres, cette idée était déjà évoquée par Victor Hugo, qui y voyait le moyen que Corneille ou Racine finance les créateurs de son temps ». Ce qu’il nous résume depuis les bords de la Loire, quelque part entre Nantes et Angers, entre les murs de la Maison Julien Gracq, résidence d’écriture dont il est le directeur, au domicile de l’auteur de La littérature à l’estomac.
Pour lire l’intégralité de la tribune, c’est ici.
Pour écouter Emmanuel Ruben à bord d’une péniche à la frontière allemande, au micro du juke-box littéraire de Radio Nova, c’est là.
Visuel © 37°2 le matin, de Jean-Jacques Beinex (1986).