C’est à Strasbourg qu’est né l’an passé ce festival-convention qui déroule assez classiquement rencontres professionnelles en journée et concerts en soirées. Ici, au bord du Rhin, on parle d’Euro-Région pour définir cette zone où jouent à touche-touche cinq pays (Suisse, Allemagne, Luxembourg, Belgique et France) et au moins trois langues différentes. Apprendre à se connaître, à appréhender les spécificités professionnelles de chacun et découvrir les artistes des scènes émergentes de cette euro-région sont les objectifs premiers du Strasbourg Music Week dont la deuxième édition s’est tenue du 21 au 23 mai dernier.
On y a parlé “coopération et export”, “formation et recrutement”, “inclusivité et représentativité”, mais aussi “intelligence artificielle”, “labels et festivals indés”, “statut des producteurs et productrices, manageurs et manageuses”. Comme dans n’importe quelle autre convention ? « Oui, sauf qu’au Strasbourg Music Week, tout se discute à l’échelle de l’Euro-Région, entre partenaires de 5 pays, et encore, pas dans leur totalité pour quatre d’entre eux, puisque que seulement 5 des 16 länders allemands, le Canton de Bâle et la Romandie pour la Suisse, la Wallonie pour la Belgique et la région Grand-Est pour la France sont impliqués » confie Isabelle Sire, la directrice du SMW.
Celle qui fut après avoir été bookeuse (Suprêmes Dindes, Didier Super…), directrice de l’antenne Lorraine du Printemps de Bourges et accompagnatrice de jeunes artistes, a repris ses études au lendemain du Covid. Un master 2 en ingénierie culturelle à Sciences Po’ Strasbourg en poche, elle a répondu à un appel à projets de quatre institutions (Région Grand-Est, Ville de Strasbourg, Collectivité européenne d’Alsace et Drac) et façonné ce grand raout des musiques actuelles transfrontalières, parrainé cette année par Flèche Love, Bertrand Belin et Jean-Noël Scherrer (guitariste de Last Train et fondateur de Cold Fame, une agence de diffusion et de production de concerts).
De part et d’autre de la frontière
Casque sur les oreilles pour saisir l’intégralité des échanges quelle que soit la langue utilisée, on découvre d’autres réalités et d’autres façons de faire. « Au Luxembourg par exemple, dès qu’un groupe se forme, il doit penser à l’export au regard du peu de débouché sur son propre territoire national et de l’absence d’industrie phonographique » confiait le Luxembourgeois Giovanni Trono. « En Belgique, pays divisé entre Wallonie et Flandres, avant même de songer à conquérir un public hors des frontières, se pose la question de la diffusion sur l’ensemble du territoire national » précisait le directeur de l’agence Wallonie Bruxelles Musiques, Julien Fournier.
« Ce sont ces réalités, mais aussi les cadres juridiques qui conditionnent les pratiques, ainsi que les dispositifs qui les accompagnent, artistes et structures qui ont été au centre de nos échanges dans l’auditorium du Musée d’Art Moderne » commente l’organisatrice. « Apprendre à se connaître entre acteurs de la filière des musiques actuelles au-delà des frontières est une nécessité pour imaginer de futures collaborations. ». Affaire à suivre donc.
Coté scène, cap sur l’émergence, sans œillères.
Forcément truffée de découvertes pour qui n’a pas l’oreille collée à ce bout d’Europe, la programmation de cette deuxième édition est le fruit de repérages en collaboration avec des structures locales dans chacun des pays, « des délégations » comme les appelle la Directrice, mais aussi avec le festival roubaisien Crossroads ou T.R.A.M.E., un dispositif d’accompagnement en Pays de Loire d’ouvrir des débouchés pour leurs découvertes respectives.
Laventure, duo du Grand Est, devenu band à part entière, défend une pop enjouée, militante qui marque des points. Crème Solaire (Rebecca Solari et Pascal Stoll) se satisfont eux de la formule à deux et servent une série de tracks habités, aux beats electro-punks. Autre duo, luxembourgeois cette fois-ci, Them Lights, lui, vient titiller nos rétines. Un dispositif de courts néons aux cadences rapides, façon stroboscope, prolonge leur geste musical. L’engagement brut de décoffrage, intense et tendre à la fois, des MCs et musiciens de Chevalier Surprise ne fait pas de doute. Croisés cet hiver aux TransMusicales de Rennes, leur show déroulé sur une ligne de crête est fragile et captivant. Emmené par deux frangines et un couple de producteurs, Sirens Of Lesbos combine délicatement nu-soul délicate et grooves fleuris d’Afrique de l’Est.
3 soundwalks offrent l’occasion de partager un instant unique, hors de scène, dans des lieux qui bousculent le confort habituel du show et imposent un autre regard, une autre écoute. Au cœur de la vieille ville, sur un pont de pierre sous lequel coule le Rhin, le Belge Loverman a chorégraphié, théâtralisé son blues épique, ses grooves décomplexés, ses envolées de cordes rythmés au son d’un tambourin, qu’un mauvais propulsera dans les eaux encore fraiches du Rhin. Clément Visage investit lui le Garage Graffalgar, un espace au nom qui claque comme un projet de joint-venture entre la vocation première du lieu et sa finalité actuelle. Dans ce vaste lieu aux murs colorés, ruissellent sur ses boucles froides aux charmes datés, notes de guitare sous effets et propos susurrés. Aurel et sa guitare, son claviériste et sa batteuse face à un tom unique jouent indoor dans une ancienne chapelle reconvertie en lieu communautaire « afin d’expérimenter le partage des compétences et des ressources dans un esprit de bienveillance, de simplicité et d’enthousiasme ». (sic).
Le jeudi, dernier soir du SMW#2, c’est à Pelpass qu’ça s’passe dans un jardin aux pelouses gorgées d’eau, Passage de relais réussi entre celui qui finit et celui qui démarre. En groupe cette fois-ci, Loverman aux alentours de 20h30 propose une autre écoute de son répertoire. Dès le premier riff de guitare de Frankie and The Witch Fingers. On devine les penchants affirmés du combo qui joue un rock garage incisif, soutenue par un furieux son de basse. Bobine revendique son implantation en Meurthe-et-Moselle — 57 represent — enroule sur le beat ses lyrics anodines et légères. C’est Patche qui posera les dernières notes de cette deuxième édition lors d’un concert impulsif, expérimental et naturellement totalement improvisé.