Dans la banlieue de Damas, les livres sont devenus des armes « d’instruction massive ».
À travers les pages de son dernier ouvrage Les passeurs de livres de Daraya, Delphine Minoui, grand reporter au Figaro et spécialiste du Moyen-Orient, nous trace le récit véritable d’un lieu de transgression au coeur d’une ville-débris, une parenthèse à la violence.
Transgression
L’histoire commence en mars 2011 à Daraya, banlieue de Damas située à 7km au sud-ouest de la ville. Les habitants décident de manifester contre le régime de Bachar el-Assad, épuisés de l’oppression du gouvernement syrien et en colère contre Daech, un mouvement de protestation pacifiste voit le jour.
Mais les règles sont les mêmes pour tout le monde, les manifestations ne sont pas autorisées sur le territoire syrien. La colère monte vite entre les forces armées et la population, et en novembre 2012, après que plus de 700 habitants de la ville furent massacrés par les militaires de Bachar el-Assad, et qu’une bonne partie de la population ait désertée la ville, Daraya est assiégée par le régime syrien.
Pendant 4 ans, ce territoire périphérique de la perle d’Orient va être détruit à plus de 90%, des bombardements, des assauts, des affrontements et des blocages d’approvisionnement vont réduire la ville en cendres.
Mais dans cet enfer, une initiative étonnante va voir le jour. En détruisant la ville, les forces armées ont également enseveli la bibliothèque de Daraya, symbole de la pensée, du savoir et donc de l’affranchissement des révolutionnaires. Et sous les débris, les livres vivaient toujours.
Une poignée de jeunes syriens va se lancer dans une aventure remplie de sens, celle de déterrer ces livres et de les sauver de leur oubli certain, de les faire renaître dans une bibliothèque clandestine dans un sous-sol de la ville.
Sous les pavés, la plage
C’est pourquoi, pendant plus de 3 ans, la fouille fut constante, autant sous les ruines des maisons que dans les lieux publics, et que cette librairie de fortune a donné du sens à une lutte à la base pacifiste.
Cette insoumission est un choix de liberté pure, détachée de l’emprise de n’importe quel régime autoritaire, où seule la tolérance prime. Pendant toute la durée de ce siège, ces jeunes rêveurs ont organisé des conférences littéraires et philosophiques, des séances de lecture et des ateliers, moyen pour eux de s’instruire, de s’approprier le savoir, mais aussi de se divertir, sortir de leur condition.
Aujourd’hui, Daraya a ployé le genou après un ultimatum lancé par le président syrien, ultimatum mortel pour les habitants qui ont été forcés de capituler et ont été acheminés à des centaines de kilomètres, proche de la frontière turque. Mais certains continuent dans leur nouvelle vie à distribuer des rêves, à distribuer des livres, à distribuer du sens.
Les passeurs de livres de Daraya : l’enquête de Delphine Minoui est disponible au Seuil. Un ouvrage présenté, ce matin, dans Plus Près De Toi. Delphine Minoui, elle, anime un grand entretien ce soir au Centre Pompidou, avec Samuel Forey. Plus d’infos ici.
Visuel : (c) Éditions du Seuil