Petit tour d’horizon.
Entre les 16 et 21 mai dernier, la première édition de La Magnifique Society à Reims mettait à l’honneur la scène japonaise. L’occasion de se plonger dans une scène protéiforme et foisonnante, du hip hop de KiLLA (ci-dessous) à la J-pop de Wednesday Campanella.
« Dans la nation des nouvelles technologies, accepter que les machines jouent le rôle d’instrument est mieux passé qu’ailleurs« , écrivait Sourdoreille en 2014. Pionnière dans l’utilisation de sonorités électro, la scène japonaise a rapidement su intégrer la technologie à la musique traditionnelle. Une règle d’or qui se vérifie encore aujourd’hui. L’organisation de l’événement était confiée au français 2080, alias Walid Dalhoumi, qui s’inspire lui-même de l’une des scènes les plus emblématiques du Japon: la chiptune.
La chip-quoi ?
Créée dans les années 2000 à partir de puces électroniques (chip, en anglais) provenant de consoles de jeux video un peu passées de mode, la chiptune sample de la musique 8 bit. Le groupe de chiptune emblématique au Japon, c’est depuis longtemps YMCK. Mais le flambeau a récemment été repris par de jeunes artistes comme le jeune producteur tokyoïte DéDé Mouse. Il nous raconte ses débuts : « J’ai commencé à écrire des chansons à 16 ans. Dès 18 ans, j’ai eu envie de lier mes deux passions, les jeux vidéos et la dance music. J’ai décidé de combiner la musique 8 bit avec d’autres genres musicaux. Ce qui fait de moi quelqu’un d’un peu à part au Japon aujourd’hui, à l’intersection entre de nombreux genres. »
2080 nous parlait récemment dans le Turfuroscope, de ses débuts dans la chiptune, considérant la musique de jeux vidéo comme « ses Beatles à lui ». Des sonorités familières, avec lesquelles il a grandi. Pour lui, cette scène célèbre avant tout la culture nerd – devenue pop culture – des ados des années 90. La chiptune s’est développée de manière universelle, jusqu’en Suède ou aux États-Unis. Mais pour 2080, son berceau reste le Japon. « En réalité, on peut déjà entendre de la chiptune, sortie du contexte des jeux vidéo, depuis a fin des années 70 avec par exemple Yellow Magic Orchestra, le groupe de Ryuichi Sakamoto », précise 2080.
« En France, et en occident en général, on pense uniquement la musique 8 bit comme un accompagnement du jeu vidéo »
Considéré comme l’un des pionniers de la musique électronique, Yellow Magic Orchestra a fait partie des premiers groupes qui sample et détourne les sonorités (pourtant assez rudimentaires) des jeux vidéo de l’époque. « Ils ont été parmi les premiers à dire qu’il s’agissait d’un matériau sonore qu’on pouvait travailler. Alors qu’en France, et en occident en général, on pense uniquement la musique 8 bit comme un accompagnement du jeu vidéo, et le jeu vidéo comme une extension du jouet, qu’on doit abandonner quand on arrive à un certain âge. »
La force de Yellow Magic Orchestra a également été de s’inspirer de l’aspect visuel des jeux vidéo, pour se créer une identité particulière. Un processus qui s’est développé au fil des décennies et que reprend également 2080, qui est aussi motion designer. Il s’est rapidement tourné vers le pixel art, ce dessin en basse résolution utilisant le pixel comme élément artistique. Comme pour le son, il s’agit d’utiliser des aspects les plus basiques du jeu vidéo, de les détourner et de les repenser pour en faire une création artistique.
Électro et tradition
L’héritage de groupes comme Yellow Magic Orchestra se base aussi sur l’alliance entre musique traditionnelle japonaise et musique électronique. Pays de l’innovation numérique et des technologies de pointe par excellence, le Japon a tout naturellement intégré les machines dans le processus de création musicale. Aujourd’hui des producteurs d’électro comme Seiho continuent de s’inspirer de la musique traditionnelle japonaise.
Originaire d’Osaka, ce jeune compositeur revendique un rapport traditionnellement japonais à la musique : « La musique est faite de l’extérieur vers soi. Je m’inspire de la nature, du monde qui m’entoure, pour enrichir ma musique. À la différence des chinois, par exemple, qui ont un processus inverse, de l’intérieur vers l’extérieur. » Un patrimoine musical qu’il enrichit grâce à Internet, en s’inspirant de productions en provenance d’autres cultures, d’autres traditions, auxquels il se confronte – comme il nous l’explique dans la vidéo ci-dessous – grâce aux plateformes comme Spotify et Bandcamp.
Grâce à cette ouverture au monde permise par Internet, Seiho peut mêler des genres musicaux et tisser des liens entre des mondes auparavant cloisonnés. Sans nier ses racines et son attachement à la nature, à la spiritualité, la scène japonnaise nourrit un rapport très particulier aux nouvelles technologies. Ce mélange des genres et cette ouverture au monde en fait l’une des scènes les plus riches à l’heure actuelle.
Visuel © Seiho