Rencontre fleuve avec un rimeur de haute voltige, quelque part entre philosophie, rue et religion
Parfois, il semblerait que le Monsieur là-haut y soit pour quelque chose. Chaleureux et distant, évident et complexe : Espiiem a ce genre d’aura qui unifie les contrastes. Atypique, ce lyriciste est l’incarnation d’une nouvelle génération du rap français qui tâtonne, ose, risque, afin de dessiner un hip-hop nouveau. Espiiem cherche encore, toujours avec l’ombre pour alliée. Stimulé par des bases techniques quasi-mathématiques, le flow s’envole au cœur d’une haute voltige spirituelle qui mène au sommet du Kilimandjaro.
Pour la sortie du Mini-Album Haute Voltige le 16 Septembre, extrait d’un voyage avec un rappeur éclairé.
Photos de Simon Betite
Comment t’es-tu approprié ce style américain pour le transformer en une marque personnelle ?
Avant tout, j’ai le don, et c’est pas moi qui le maîtrise, d’avoir un grain de voix particulier donc d’emblée un flow particulier. Mais j’ai toujours en tête cette envie d’ajouter une touche personnelle. Et à plus long terme, je pense que c’est un truc qu’il faut assimiler en France. Il est normal qu’on ait des influences américaines mais il faut à un moment avoir un peu de chauvinisme pour donner un son hiphop français.
Pour revenir à ta question, je pense que c’est un travail d’alchimiste, il faut tenter de nouvelles choses, savoir prendre des risques. En France, on est peut-être un peu plus frileux donc on n’ose pas assez. Moi j’essaye d’avoir un son propre, d’innover, d’apporter quelque chose de précis. Cette nouvelle génération du rap français qui prend place a quelque chose de bien à faire : garder et assumer nos influences sans être constamment dans la projection américaine. La Nouvelle Vague en cinéma et la French Touch montrent qu’on possède un véritable savoir-faire Français, on peut tout à fait l’avoir dans le Hip Hop en faisant des connections avec d’autres influences.
Il faut à un moment avoir un peu de chauvinisme dans le hip-hop!
Maintenant que tu affirmes ton style musical, avec des productions innovantes et des textes à portée spirituelle, comment te situes-tu dans le paysage du rap français ?
Ce n’est pas évident de me positionner car j’apprécie rapper sur différents styles musicaux. En y réfléchissant, c’est vrai que je ne suis sûrement pas commun. Par exemple, je m’amusais à poser sur des morceaux de Steve Reich, pionnier de la musique minimaliste. Je sais vraiment pas comment les gens me perçoivent. Je pourrais jouer d’un certain côté atypique, mais comme je le fais naturellement je ne trouve aucun crédit à en jouer. La sobriété me correspond plus que l’excentricité.
Pour de nombreux auditeurs et acteurs du milieu rap français, tu es souvent cité comme un modèle, une référence, dans ta technique et ton message. Comment réagis-tu à ça ?
Ça me touche énormément quand des artistes, qu’ils soient célèbres ou pas, disent en interview ou en privé que ma musique les inspire. Ca revient à ce que je te disais. Les gens que je rencontre sentent le travail que je mets dans ma musique, ils peuvent se reconnaître dedans. C’est une grande preuve de reconnaissance d’être apprécié par ses pairs. Au final on a presque le même âge, je suis loin d’être un ancien, mais ça me touche à chaque fois.
Autre élément qui peut-être te caractérise, c’est la hauteur de ton message. « Mon texte a la valeur d’une prière. », « Porter le nom du prophète n’est pas toujours facile », « Entouré par des Anges je connais mon destin » : autant de références dans tes textes à la religion. De quelle manière influence-t-elle ta musique ?
J’ai évidemment conscience de cette dimension mais je réalise maintenant, avec ces extraits que tu me cites, du poids que cela peut avoir dans mes textes. Je suis issu d’une famille très religieuse et la spiritualité a toujours été omniprésente dans mon éducation. Donc entre Muhammad et Espiiem, même si j’occulte une partie de ma vie privée, il y a forcément des liens qui se tissent, des valeurs qui se retrouvent dans mes textes.
Et puis, c’est quelque chose que je trouve beau de pouvoir parler de ces choses-là. En rap ça paraît bizarre, comme deux extrêmes. Mais au final c’est bien, t’apportes ta pierre à l’édifice. Ce sont des messages humanistes, très simples. Je ne fais pas du tout du prosélytisme. Je le fais inconsciemment, une partie de mon côté spontané. J’en parle parce que ça me tient à cœur.
En rap ça paraît bizarre, comme deux extrêmes. Je ne fais pas du tout du prosélytisme.
As-tu la sensation d’avoir été élu pour accomplir une mission divine ? Si oui, quelle serait-elle et à qui s’adresserait-elle ?
Sérieusement, tu fais bien de me provoquer comme ça. J’ai la conviction profonde que, pour reprendre tes mots, nous avons tous une forme de mission, peu importe laquelle, nos existences ne sont pas vaines et nous ne sommes pas ici par hasard. Ca fait gourou de dire ça mais, donner du sens à nos vies et trouver la voie qui nous correspond est une quête constante dans laquelle nous sommes tous. Pour ma part, l’écriture et la musique participent à une certaine forme d’accomplissement. Mes morceaux, qu’ils soient sombres ou légers, sont faits avec le cœur, sans calcul. Je pense sincèrement que les personnes qui suivent de près mon travail le ressentent.
Au départ, je le faisais uniquement pour moi et mes proches. J’ai vu ensuite que les morceaux pouvaient être appréciés par un plus large public: magnifique!
Ca fait gourou de dire ça mais je pense qu’on est tous élus !
A travers tes textes, tu te balades entre vente de drogues et discours spirituels. Quelle est cette dualité, ce contraste dans ton message et ta personne ? Y a-t-il une tension, un dilemme ?
C’est ça qui fait partie de mon écriture. J’adore faire jouer des contrastes. Toutes ces dualités et ces tensions ne sont qu’un équilibre à maintenir, une nouvelle fois. Je côtoie des personnes et des milieux très différents, pour ne pas dire opposés.
Moi-même, dans mon prénom et mon nom de famille, j’ai deux origines différentes grâce à ma double-nationalité. Dilemme est le titre du premier morceau qui figure sur Haute Voltige, il raconte ma rencontre récente avec un ami d’enfance. Il me demande pourquoi continuer la musique alors que je pourrais comme lui faire beaucoup d’argent en étant à ses côtés dans un business parallèle. Je trouvais que les choix de vie radicalement opposés de deux amis d’enfance donneraient un morceau intéressant, en prenant pour point de départ cette simple situation. Au final, ce monde n’est pas moi, je pense avoir fais le bon choix !
Ce contraste entre hauteur spirituelle et simplicité quotidienne correspond au titre de mon Mini-Album : Haute Voltige.
C’est pas un voyage en jet-privé. On traverse différents univers, il se passe des choses, il y a des turbulences.
A lire en intégralité ici, sur Crumb Magazine.
Haute Voltige, sorti le 16 Septembre chez 75ème Records
En concert le 16 Septembre à la Boule Noire
Photos : Simon Betite
Remerciements à Florent de MPC Productions