La chronique « Tout doit disparaitre » de Marie Misset, à retrouver toute la semaine dans la matinale de l’été.
C’est la fin des retrouvailles à l’ancienne. Celle qu’on chante dans « buvons encore, une dernière fois, à l’amitié, l’amour, la joie. On a fêté nos retrouvailles, ça m’fait d’la peine mais ils faut que je m’en aille » (vous situez ?). C’est la fin des retrouvailles qu’on voit dans les films : quand quelqu’un a laissé partir son amour de jeunesse par exemple et qu’il le voit 50 ans plus tard, marqué par les cicatrices du temps.
Pourquoi ? Vous l’aurez deviné. Comme d’habitude, c’est la faute des réseaux sociaux. En nous tenant constamment au courant des faits et gestes de nos amis, ils empêchent le moment où l’on rattrape 30 ans de temps perdu.
Pour citer Maël Renouard, auteur d’un passionnant Fragments d’une mémoire infinie (Éd. Grasset) : « Qui, sur l’internet, n’est jamais parti en quête de ses amours mortes, des amis qu’il n’a plus vus depuis des années ? Temps perdu passé à rechercher le temps passé perdu. »
Personnellement, j’ai un regret : celui de ne jamais pouvoir dire à personne « on s’était donné rendez-vous dans dix ans, même jour même heure, même jour. » Moi si je revois mes meilleurs potes d’il y a dix ans demain, ça n’aura aucun intérêt. Je sais qui a eu des enfants, leurs prénoms, qui a eu la varicelle parmi ces enfants. Quelles sont les campagnes qu’ils signent sur change.org, combien de fois ils sont allés en vacances, où, pourquoi ? Je sais s’ils ont glissé à droite ou à gauche sur l’échiquier politique et j’ai une idée assez précise de leurs goûts musicaux.
Vous me direz, tout le monde n’est pas comme moi, tout le monde ne met pas sa vie sur Facebook, et tout le monde ne passe pas deux heures sur Facebook à espionner ses contemporains. C’est vrai mais ils sont de plus en plus rares, ceux qui résistent.
En tout cas, vous soulevez un point intéressant. Mon cas entraîne parfois des situations gênantes. Le laboratoire NearFuture à New York qui s’intéresse aux effets des réseaux sociaux sur nos relations sociales a fait une liste de nouvelle pathologie qu’on développe en restant trop sur les réseaux. Il y en a une qui découle directement du problème précédemment évoquer. Le Overshadower Syndrome (OS) : c’est quand tu n’es pas capable de déterminer ce qu’il est normal ou pas de savoir sur quelqu’un. Exemple : vous croisez un semi-inconnu que vous avez sur Facebook et vous lui demandez s’il a bien récupéré son portable qu’il a perdu après une fête la semaine dernière et comment va sa nana, est ce qu’elle bosse toujours au ministère de la défense. Ça peut être un peu gênant, surtout si la personne en face n’a pas engrangé autant de connaissances sur vous de son côté.
La solution pour que les retrouvailles retrouvent leur lustre d’antan, leur aspect exceptionnel et leur lot de nouvelles inattendues, c’est que vos amis disparaissent tout simplement de la circulation comme les évaporés au Japon. Le phénomène est si important qu’on lui a même donné ce nom : les évaporés. On estime que plus de 100 000 Japonais disparaissent tous les ans, se coupent du monde, effacent leur trace pour aller vivre à la marge.
Ce qui promet, si vous les retrouvez un jour dans un bosquet, des retrouvailles intéressantes.
Visuel (c) Friends / Marta Kauffman & David Crane