Autrice d’un essai réjouissant sur le peintre belge Léon Spilliaert, l’animatrice de « Remède à la mélancolie » nous dévoile la composition d’un imminent gouvernement d’éminents toutous.
« Ses paysages sont des asiles, ses portraits, les effigies de nos âmes sombres. Avec ses natures mortes, il transcende le réel et rend le banal fantastique. C’est un alchimiste ; de la boue et de la sombreur, il fait du sublime. Spilliaert donne du panache au spleen. » Ainsi s’enclenche (ou presque) le bref et réjouissant (oui) essai qu’Eva Bester consacre au peintre belge Léon Spilliaert (1881-1946), publié cet automne aux éditions Autrement. Dans Léon Spilliaert, œuvre au noir, l’animatrice-productrice de l’émission Remède à la mélancolie sur France Inter examine et détaille, depuis son propre « abîme », en tant que porte-parole de celles et ceux « qui ressentent le monde comme un hangar froid sans plafond et sujet à une pluie continue », son amour fasciné pour les « envoûtants clairs-obscurs » à l’encre de Chine de l’artiste d’Ostende.
Malade du cœur, confiné un siècle avant l’heure, Léon le prolifique – près de 4500 œuvres ! – « représente des personnages esseulés, prostrés, ahuris, dans un climat de pesanteur, de vide, de morbidité, d’angoisse existentielle », mais – tiens – confie parfois aux gazettes que son principal défaut serait « la blague ». Oh ?
Et tandis qu’on remarque que Spilliaert a parfois peint d’étranges canins (errant, famélique et noir, sur terre enneigée, bizarrement souple comme un chat ; la tête cachée dans la robe d’une femme-alien, sur fond rouge enfer ; lévrier bleu pétrole aux pieds de nonne pensive), Eva Bester – qui révèle ici pour la première fois son statut fort enviable « d’inventeuse du post-it en emmental » – nous décrit depuis Tbilissi, Géorgie, la composition d’un imminent gouvernement d’éminents toutous.
« Au ministère de l’Intérieur, il y aura Alfred Saxophone, teckel grave mais confiant, qui signera des armistices dans chacune de nos âmes. Au ministère de la Culture, Facétie Bémol, labrador violet bilingue, aimant Verlaine et les bretzels. » Et ? C’est tout-tout. Car « il n’y aura plus que deux ministères ». Mais l’avenir se déroule encore dans ce récit truffé de « grands jardins », de « petits boutons sous les arcades sourcilières des hommes de loi », d’une « religion sur le culte de l’altérité » ou de « démarches administratives exécutées par la pensée ». Et la mélancolie ? « Ringarde ! »
Pour écouter la précédente utopie d’Eva Bester, c’est là : https://www.nova.fr/news/eva-bester-demain-nos-cotes-seront-devenus-nos-priorites-36249-30-03-2020/
Image : Léon Spilliaert, Autoportrait au miroir (1908).