Vous connaissez Bertrand, la biscuiterie, les éditions, la ville (Belin-Beliet, dont le nom vient du dieu gaulois Belenos), mais connaissez-vous Valérie ? Sans doute que oui, mais même dans le cas contraire, rassurez-vous : on va refaire un bref topo. Photographe, plasticienne, Valérie Belin travaille depuis les années 90 sur la question de l’altérité à soi-même. Ses sujets d’étude, ses sujets photographiés sont comme « au-delà d’elleux-mêmes », excédant leur figure humaine ; l’être, des êtres comme des sculptures réifiées, des images tridimensionnelles converties en évocations de l’absence – et vice-versa pour les objets.
« Je photographie les êtres vivants et les choses avec une sorte d’équivalence qui a pour effet de retirer la vie à mes modèles vivants et de donner un supplément d’âme aux objets et aux choses », dit Valérie Belin ; une phrase affichée sur les murs de l’exposition. Car c’est bien là un fil conducteur qu’on peut tracer pour relier quelques-unes de ses séries emblématiques et troublantes, de la superhéroïne pensive Lady Stardust (sa dernière en date) aux corps « mi-humains, mi-machines » des bodybuilders, cyborgs surgonflé.es, en passant par les paquets de chips postérisés, les boules de nerfs des moteurs, les icônes préraphaélites de Black Eyed Susan, les mariées marocaines aux robes incroyables (big up à la mariée de Fez), les sosies « gueules cassées » de Michael Jackson ou encore les mannequins, avatars kraftwerkiens rimant avec la pose comme avec le défilé, avec le glamour luxueux, avec la dépersonnalisation inerte – que Belin fait fusionner.
En voilà une vallée dérangeante – cette fameuse « uncanny valley » popularisé par la figure androïde, poussant l’avantage de l' »inquiétante étrangeté » chère à Freud. Qui chemine jusqu’à un point d’interrogation qui chatouille et qui gratouille les neurones : jusqu’à quel point sommes-nous des objets fabriqués presqu’à notre corps défendant ? Jusqu’où les humains sont-ils des produits extérieurs à eux-mêmes, contaminés par leur culture, par des codes esthétiques s’immiscant dans nos chairs, nos pensées et nos attitudes ?
Des questions traversant sans cesse ces images construites, allumant des feux d’artifices répercutés de reflets en reflets jusqu’à ce que s’affine jusqu’à l’indiscernable la lisière entre le spectre et le spectacle. Cette intrication, tissée aux fibres comme aux pixels, d’intime et d’apparence, cette émergence de tierces figures en mutation, facturées, fracturées parfois, par ce jeu de rôles où authenticité et détermination se tirent la bourre, voilà quel sera, au MusBA, le coeur palpitant de ces « Visions silencieuses », troisième monographie consacrée à Valérie Belin (après celles organisées à la Maison Européenne de la Photo en 2008, puis au Centre Pompidou en 2015).
Un nom d’exposition choisi par la native de Boulogne-Billancourt elle-même, en se « souvenant de ce que Michel Poivert écrivait sur mon travail en 2004 : ‘L’iconographie des photographies de Valérie Belin est silencieuse. De ce silence qui précède les catastrophes, puis leur succède. Celles des accidents, des labyrinthes spéculaires de verres et de miroirs, des cérémonies, des corps et des visages dont on ne peut dire si les êtres auxquels ils appartiennent sont même en vie.' »
L’exposition se déploie sur les trois niveaux de la Galerie des Beaux-Arts. Au rez-de-chaussée, les surimpressions en palimpsestes ; au premier étage, les portraits en noir et blanc ; au sous-sol, les natures mortes. Des développements auxquels s’ajoutent, dans les ailes du musée situé à quelques encablures à peine, quelques correspondances établies entre lesdites photographies et des vanités flamandes, de toiles proto-fauves, de scènes mythologiques, des peintures cubistes ou dadaïstes.
Tout un tour d’horizon que la Radio Nova Bordeaux ne manquera pas, de surcroit, d’agrémenter d’un petit je-ne-sais-quoi musical, à l’occasion. Tenez, si vous avez un creux dans votre agenda le 11 octobre, pensez donc à passer une tête dans les parages, on devrait y être, pour ambiancer l’afterwork.
Mais si vous n’êtes dispos ce jour-là, pas de souci : la contemplation des pièces, images, montages et collages réalisés entre 1996 et 2023, sélectionnés et exposés pour ces « Visions Silencieuses », suffit déjà largement à produire son petit effet. De ceux qui laissent coi, bouche bée.
Et figurez que, cerise sur le gâteau, on a dans notre hotte magique des entrées gratuites ainsi que des copieux catalogues récapitulant toutes les merveilles de cette belle exposition. Pour jouer, hop, on chope le mot de passe Nova Aime ici, avant de le renseigner juste là et de croiser les doigts.
Exposition « Les Visions Silencieuses » de Valérie Belin, du mercredi 24 avril au lundi 28 octobre @ Galerie et Musée des Beaux-Arts (Bordeaux). Plus d’infos sur musba-bordeaux.fr, rubrique Agenda.