Après la grande apocalypse de 2021 » qui « rendra sourde la quasi-totalité de la population mondiale », ce duo de bardes alpins se rendra au sommet de l’Aconcagua, pour un concert à 7000 mètres d’altitude.
« Si j’affrontais tous les dangers, viendrais-tu marcher avec moi ? Si j’affrontais tous les dangers, viendrais-tu danser dans le noir ? » En préambule à cette histoire, il y a l’obsession d’un homme : le facteur Cheval, de son double prénom Joseph Ferdinand (1836-1924), emblème de l’art naïf à la française, qui passa trente-trois ans à ériger, seul, rien qu’avec les pierres ramassées pendant ses tournées quotidiennes à bicyclette et du ciment, de la chaux et du mortier, son « Palais idéal » : un édifice de vingt-six mètres de long pour douze mètres de haut, traversé de motifs hindous, bibliques, égyptiens, d’un chalet suisse ou d’une mosquée, de sculptures de loutre ou de guépard, de Vercingétorix ou d’Archimède, assorties d’inscriptions modestes comme « la vie est un rapide coursier, ma pensée vivra avec ce rocher »
Bien vu : bâtie près du centre d’Hauterives (Drôme), cette rêverie phénoménale fut classée monument historique par André Malraux en 1969, après avoir suscité l’admiration de Picasso, Breton, Max Ernst, Niki de Saint-Phalle, puis de Boris Vian, de Gérard Manset ou… d’un joyeux tandem contemporain nommé Facteurs Chevaux.
Formé en Isère par Sammy Decoster et Fabien Guidollet, ce duo de bardes à barbes drues et cheveux longs pratique une très apaisante folk naturaliste, tissée d’arpèges et d’harmonies dans la lignée de glorieux maîtres anglo-saxons (The Byrds, The Everly Brothers, Simon & Garfunkel), pour chanter – parfois comme des moines grégoriens revenus du fond des âges – l’orée d’un verger, les chemins vagabonds, la peur profonde dans les yeux d’un chien, comme on l’entend sur Chante-nuit, second album publié en juin 2020 et salué par Dominique A, quatre ans après leur premier édifice, La Maison sous les eaux. Mais où ce disque de beauté pastorale fut-il (en partie) enregistré, à votre avis ? Dans le Palais du Facteur Cheval, pardi.
Grimpant à bord de notre propre palace des songes, les troubadours modernes du massif de la Chartreuse ravivent les habitudes prises lors de leur dernière tournée, engagée entre deux confinements, qui les conduisit à sortir leurs guitares non pas hors des sentiers battus, mais au bout des sentiers buissonniers : dans des refuges, des grottes, des forêts, une église romane, un prieuré bénédictin. Depuis le mirador « Plaza Francia », en Argentina, Facteurs Chevaux nous adresse cette carte postale musicale, prélude à leur ascension de l’Aconcagua (6962 mètres), au sommet duquel ils joueront, en live, « après la grande apocalypse de 2021, qui aura rendu sourde la quasi-totalité de la population mondiale, après des années de consommation de musique en poudre, avariée ». Vamos.
Pour voir le beau clip lacustre de Je te dessine, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=vQL4n-vWmB4&ab_channel=Facteurschevaux
Image : Cholitas, des femmes à l’assaut de leurs rêves, de Jaime Murciego et Pablo Iraburu (2019).