Brahim Naït-Balk parle de l’homophobie dont il a fait les frais
Le 9ème numéro de Ravages, la revue Mauvais Esprit a paru le 15 mai dernier. Cette nouvelle livraison combative et hérétique est consacrée aux minorités sacrifiables, aux boucs émissaires de tous poils, sexes et couleurs ; les stigmatisés, les exclus, ceux qu’on met au ban de la cité au nom de la sacro-sainte cohésion du groupe. Pêle-mêle les homos, juifs, musulmans, blancs, femmes, pauvres, cancres…
Après l’interview exclusive de Voltaire sur la tolérance, voici un texte autobiographique de Brahim Naït-Balk. L’auteur y témoigne de l’ostracisme dont il a personnellement fait les frais, pour avoir osé vivre son homosexualité au grand jour dans la Cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois. Aujourd’hui directeur départemental handisports, animateur de radio et entraîneur de l’équipe du Paris Football Gay, il revient sur cet expérience de la haine ordinaire. Cet extrait revu par l’auteur est tiré de Un homo dans la cité (Calmann-Lévy).
Très récemment, alors que j’étais allé me baigner à la piscine de Sèvres, je me suis entendu interpeller. Me retournant, j’ai vu un grand gaillard auprès d’une petite fille qui pataugeait dans le petit bassin. Morad, mon agresseur du petit-bois, qui avait voulu me violer. Il m’avait vu à la télévision – j’avais participé à un reportage dans lequel le réalisateur avait tracé des portraits de gays, dont le mien. L’une des séquences, où l’on me voit discuter d’homosexualité avec un groupe de jeunes dans une cité, l’a beaucoup marqué : « Tu as osé parler de ça avec des jeunes frères. Tu n’as pas honte ? » Il alternait l’arabe et le français : « Mais toi qui es des nôtres, toi qui es musulman, tu oses te montrer comme ça, mais c’est la hshouma, la honte ! Être pédé, c’est contre nature, contre l’islam. Fais-toi soigner, va voir un imam ! »
Honte sur toi
Devant son culot, je me suis contenté de faire allusion à la manière dont il m’avait traité : « Pour moi, quand un homme cherche à avoir des rapports sexuels avec un autre homme, c’est forcément un homosexuel. Qu’il soit actif ou passif ne change rien à l’affaire, c’est un homo. Tu m’as vu dans ce reportage parce que je me bats pour faire admettre cela ? »
Il était furieux : « Non, mais ça va pas ! Les types comme toi, on leur fait la misère, on les chope, on les encule ! » Il s’excitait tout en jetant des regards nerveux vers sa fille. Il était encore révolté par mon audace : non seulement j’étais gay, mais j’osais l’affirmer publiquement. Il était partagé entre l’incrédulité et l’envie de me casser la figure : « C’est dégueulasse, comment deux hommes peuvent-ils être ensemble, ce n’est pas possible ! » Le minimum eût été de lui signifier que j’aurais pu, que j’aurais dû porter plainte, mais je n’avais pas envie de remuer toute cette boue. J’aurais préféré ne jamais le revoir. Que ce soit un homo honteux ou pas, finalement, peu m’importe… C’est d’abord et avant tout un homme violent qui cherche à humilier autrui, à l’écraser, à l’utiliser comme un objet au service de son plaisir. J’imagine que c’est ainsi qu’il traite son épouse…
Au contraire, j’ai essayé d’entamer le dialogue avec lui : « Mais si, justement, c’est possible. Tu ne parles que de sexe, mais il peut aussi y avoir de l’amour entre deux garçons. »
Il ne voulait rien entendre : « Tais-toi ! Tu n’es pas digne d’être un musulman.
– Mais, d’abord, qui te dit que je suis musulman ? Je ne suis pas musulman. »
Il a clos le débat en fulminant : « Je ne te parle même pas. De toute façon, tu n’es qu’un sale pédé. »
Traître, juif
Rachid a raison : au-delà de mes choix sexuels, ce que ces gens n’admettent pas, c’est que je ne m’identifie pas à notre religion commune. À mes yeux, c’est l’histoire de mes parents, leur culture, pas les miennes. Dans la mesure où je ne suis pas croyant, ce serait hypocrite de pratiquer juste pour donner le change. Lorsque je croisais l’un de ces adolescents dans la cité alors que je mangeais un sandwich pendant le ramadan, j’avais droit aux injures : « Mais t’es un traître, un sale Français, un juif… » Ils ont à peine seize ans, ils ne connaissent rien de la vie, ils ignorent souvent le sens religieux du ramadan, mais ils ne respectent rien ni personne. Ils ont l’âge d’être mes enfants, mais leur violence m’explose à la figure comme une bombe à retardement. Ils sont nés en France, mais leurs parents, ceux de ma génération, n’ont pas su les éduquer. Ils ont fabriqué des petits voyous en colère qui ne savent rien faire d’eux-mêmes et qui prétendent me « rééduquer » ! Ils leur ont transmis une certaine haine de la société française. Il m’est arrivé d’observer ce même ressentiment chez mes proches, j’ai souvent entendu certains dire, alors qu’ils sont français : « C’est à cause des Français, tout ça, ils ne veulent pas de nous… »
À mes yeux, l’intégration, c’est avant tout une histoire personnelle. Dans mon cas, c’est lorsque j’ai découvert la vie au Maroc et l’accueil qu’on m’y a réservé que j’ai pris conscience de ma chance d’avoir grandi en France.
Folasse
Bref, alors que j’ai à peu près échappé au racisme antiarabe, j’étais repéré et insulté par mes coreligionnaires, à double titre. D’un côté, j’étais le pédé, la drag-queen, la folasse ; de l’autre, le traître qui ne faisait pas le ramadan et qui mangeait un sandwich au jambon…
En revanche, les islamistes n’ont jamais essayé de m’approcher. Je savais qu’ils s’attaquaient aux voyous et aux dealers pour les faire revenir dans le droit chemin, mais la rumeur courait sur mon cas : j’étais le pédé, le diable, le monstre dont il fallait se tenir à distance, sous peine d’attraper « la maladie ». J’étais contagieux et irrécupérable. Dans mon malheur, j’ai eu la chance de leur échapper. Je me sentais tellement vulnérable, isolé, influençable que, s’ils m’avaient entrepris, je les aurais suivis, surtout à Aulnay, où ils étaient très nombreux et très actifs.
Je n’ai jamais craint de transgresser les préceptes religieux, je ne suis pas pratiquant parce que je ne suis pas croyant et je ne m’en suis jamais caché. Je dirais même que j’en rajoutais un peu, je me faisais provocateur, comme pour dire : contre ma religion et ma culture d’origine, qui m’ont enserré dans un carcan de honte et de peur, je choisis le mode de vie occidental et la liberté de penser.