La chronique de Jean Rouzaud.
Soixante-dix ans que la Jamaïque fascine par la création d’un bloc musical à part : du Ska en 1960 jusqu’à la Jungle en 1990, en passant par tous les dérivés d’une pulsation unique, mais quand même cousine de nos Rock et Pop, d’où notre attirance.
Les Anglais et le Reggae : ça fonctionne
Mais ce sont quand même les plus passionnés, précis, archivistes, spécialistes et obsédés de musique qui sont allés le plus loin avec ce qu’il était convenu d’appeler le Reggae : les Anglais !
Leur colonie paradisiaque aux « west Indies », puis une complicité de musique aussi forte que leurs « swinging sixties » : la British invasion avait monté le Blues et le Rock d’un cran électrique, Pop et stylé. Puis ce fut les Rockers jamaïcains qui ont re-sculpté le Rock et la Pop.
Le double album Style and Fashion, tiré du label londonien Fashion Records, nous raconte en 20 titres la fin de cette histoire, quand les morceaux sont joués par des Jamaïcains nés en Angleterre, voire directement à Londres. Fondé en 1976 par John Mac Gillivray, après le stand situé à Clapham Junction le magasin mythique avait ouvert à Ladbroke Grove, bien placé, près du métro. Puis avec Chris Lane, ce sera leur label, et la réputation d’être le meilleur fournisseur de Reggae d’Europe.
Aujourd’hui, Dub Vendor s’est installé à côté, dans le Mau Mau Bar, célèbre lieu de musique !
Cette génération expatriée, admirant la musique du pays et de ses stars ne se sont pas gênées pour faire un peu de tout, avec humour et talent.
Dancehall, Jungle, Lovers Rock, Raggamuffin, Drum and Bass, Reggae old school, Toast, Electro, Deejays, tous les Mix possibles, sur tous les tons, cool ou speed, doux ou agressif.
Tous les morceaux sont des clins d’œils aux sound systems jamaïcains, puis londoniens : une surenchère de « Slackness », Ragga, Wicked, avec cris et harangues, rythmes suractivés et allusions sociales.
Le son jamaïquain, mais depuis l’Angleterre
Le résultat est excité, comme un miroir des tubes jamaïcains, par des jeunes redevenus anglais, avec la distance et le style urbain, une production plus léchée et internationale.
Chris Lane et John Mac Gillivray, deux fans anglais inspirés de sons jamaïcains, collectors commencé dès les années 70 à importer et vendre les « plates » émanant de labels cultes (Studio One, Bunny Lee, Trojan…) Au départ ils n’ont qu’un stand de marché !
Ils font un tel carton que dès 1982 qu’ils commencent à produire pour leur propre label, Fashion Racords, dans leur arrière-boutique de Dub Vendor….
Dans Londres et à Brixton, la scène jamaïcaine multiplie les sound systems, et un nombre croissant de jeunes expatriés s’y essaient : deejays et chanteurs de charme, Soul sisters et toasters.
General Levy, Papa Face, Smiley Culture, Bionic Rhona, Asher Senator, Laurel & Hardy, Top Cat etc. ouvrent une perspective nouvelle, pleine de clins d’yeux et d’humour, pouvant impliquer football ou policemen.
Ils ont été marqués par les petits génies du pays : U-Roy, Big Youth, Dillinger, Augustus Pablo, King Tubby… La source magique.
En 1974, John Mac Gillivray avait passé un mois initiatique chez Lee Perry à Kingston, quand il créait son mythique « Black Ark Studio » !
L’émergence Reggae-Jamaïque en Angleterre et sur la scène mondiale, va procurer au duo une rampe de lancement, et au cours des années 80, 90 et 2000, ils sortent ce qui est aujourd’hui un véritable catalogue de productions anglaises, Reggae hors frontières…
La méticuleuse passion anglaise, leurs dons de découvreurs et d’archivistes, de collectionneurs, d’historiens impliqués, ont toujours fait qu’en Angleterre la musique est un vrai métier, pour ne pas dire une science (et pas une distraction) dont les Français devraient s’inspirer.
Style and Fashion – A-Class Top Notch Hi Fi Sounds In Fine Style. Dancehall. Jungle. Lovers Rock . Double CD. 20 tracks. Soul Jazz Records (avec Papa Face, Cutty Ranks, General Levy, Laurel & hardy, Carlton Lewis, Top Cat, Papa San, Poison Chang, Asher Senator, Bionic Rhona…) + livret de 35 pages illustrées avec historique.
Visuel © Soul Jazz Records