Des projections, des débats, tables rondes et autres masterclass pour ouvrir les curiosités, susciter des vocations, des questionnements, des engouements vers les cinémas africains, leurs pertinences, leurs audaces, leur vivacité artistiques … C’est à nos camarades bordelais.es de l’Institut des Afriques (ou l’IdAf, créé en 2015) que l’on doit ces quelques journées de cinéma et de discussions, avant, après, sur et autour des films, et d’une idée, plurielle, de ce continent imposant dont les cartes formatées par Mercator (à voir en ce moment à la Bibliothèque de Bordeaux) ont trop longtemps nié la dimension véritable.
Après une première édition consacrée aux conditions matérielles de fabrication des cinémas africains (au-delà du seul mastodonte Nollywood, le Hollywood nigérian), ce second Afriques en Vision a eu envie de rendre compte des regards de réalisatrices. Et ce alors que les prix à Venise et la sélection aux Oscars, pour représenter la France, du Saint-Omer d’Alice Diop, premier long-métrage fictionnel de la documentariste d’origine sénégalaise, vient placer un projecteur supplémentaire sur cette toile thématique.
Tout commencera, à la manière d’une course cycliste, par un prologue, tracé autour de l’exposition Les Péninsules Démarrées du côté du FRAC. Des péninsules artistiques vues par le prisme de l’Angola et du Mozambique des années 60 – soit avant leurs indépendances, conquises, arrachées en 1975, à la chute de l’Estadio Novo portugais. Deux pays, deux focus, deux courts-métrages projetés : le Effects of Wording de Catarina Simão qui sera présente à cette occasion pour évoquer cette relecture historiographique d’archives et d’images de luttes filmées en Super 8, ici mises, remises sur le métier et la table de montage. Et le Monangambeee réalisé en 1968 par la cinéaste française Sarah Maldoror (avec l’Art Ensemble of Chicago à la bande-son, forcément free-jazz), où sont dénoncées les exactions et les tortures commises par l’Exército Português à l’encontre des rebelles angolais.es.
Le festival proprement dit commencera avec le mois de décembre, le jeudi 1er décembre, à la fois à Poitiers et à Bordeaux. L’ubiquité n’étant pas encore dans nos cordes – ni, sans doute, dans les vôtres – il faudra choisir entre : côté poitevin, au Cinéma Le Dietrich, la projection du Jean Genet, Notre Père des Fleurs de Dalila Ennadre, dernier long-métrage de la réalisatrice marocaine, disparue en 2020 ; et côté bordelais, à l’Utopia, la mise à l’affiche du No Simple Way Home d’Akuol de Mabior et du Dialemi de la Gabonaise Nadine Otsobogo (qui a plusieurs cordes à son arc : réalisatrice, maquilleuse, productrice mais aussi directrice du festival de Makusu), accompagné d’un concert de la chanteuse rwandaise Kaya Byinshii, en résidence à Palmer ces jours-ci, et d’un selector-set de Florent Mazzoleni, l’auteur notamment d’Africa 100, la traversée sonore d’un continent (aux éditions marseillaises du Mot et le Reste).
Mais ne laissons pas planer l’incertitude plus longtemps : on préférera la deuxième option. Pourquoi ? Pas par ostracisme envers Poitiers, loin de là (le Confort Moderne, la Fanzinothèque, Transat, le Théâtre Auditorium… : on vous aime les Poitevin.es), mais parce que le Jean Genet, Notre Père des Fleurs de la veille sera de nouveau à l’affiche, le lendemain, dans le 33. Hommage explicite à l’auteur du Journal du Voleur, de Querelle de Brest, de Notre-Dame-des-Fleurs, ce docu-fiction s’enroule autour de la relation de Genet avec le Maroc. Un pays que le gouape des lettres françaises a découvert en 1931, à l’époque de ses services militaires parmi les tirailleurs coloniaux. Le pays, surtout, de ses dernières années, de ses derniers amants, de sa dernière demeure, puisqu’il est enterré là, outre-Méditerranée, dans le carré espagnol du cimetière de Larache, au nord du Maroc ; un lopin où flotte toujours, en plein coeur d’un royaume chérifien pas vraiment réputé pour sa tolérance, un peu de son insoumission inoxydable, sincère et faussaire, fuyante et engagée. C’est cette irréductibilité, celle d’un terrible zèbre galopant sur des semis de roses et de zizanie, dont Dalila Ennadre filme les échos et les épigones contemporains, particulièrement chez les voisin.es et les gardien.nes de cette tombe à haute teneur symbolique.
Second long-métrage de la soirée, Visages de femmes de Désiré Écaré, qui avait fait son petit effet lors de sa présentation au Festival de Cannes 1985. Du fait d’une scène tout en sensualité panthéiste, à la lisière du X (« Enfin ! Un porno africain ! » s’exclamera alors, avec son ton volontiers provoc, le Libé d’alors sous la plume de Skorecki), qui a quelque peu occulté le reste du métrage et lui a d’ailleurs valu, à sa sortie, les foudres de la censure ivoirienne. Mais derrière cette séquence, il y a tout un beau film choral tourné pendant dix ans, tout en Côte-d’Ivoire ; un ensemble de tableaux liés par des chants constituant une piquante comédie de moeurs, d’une comédie humaine où les femmes ivoiriennes ont plus que la part belle, puisque c’est par elles et avec elles, de la villageoise mal mariée à la businesswoman d’Abidjan, que se fait le film, entre parties d’awalé, badinages amoureux, initiations à l’autodéfense et velléités féministes tenaces mais pas toujours victorieuses.
Au programme du samedi, dans la soirée, une table ronde sur la représentation féminine dans les cinémas africains actuels, où les cinéastes marocain.es Myriam Bakir et Hicham Falah, l’universitaire Patricia Caillé et la critique cinéma franco-burkinabé Claire Diao échangeront points de vue et arguments. Mais aussi, avant de rallier ces palabres chez Troisième Porte à Gauche, deux projections. Celle, tout d’abord, du Mères de la déjà citée Myriam Bakir, suivant le combat de l’association Oum El Banine au soutien des mères célibataires, victimes de l’opprobre populaire et des poursuites judiciaires (l’article 490 du code pénal marocain condamne les mères non-mariées à de la prison ferme). Une thématique parentale également abordée sous un angle plus tendre par le Future Lullaby du Camerounais Blick Bassy, kaléidoscope de mille et une berceuses à travers le temps, créé à l’invitation du Musée du Quai Branly.
Tout ceci se finira le dimanche, lové.es dans les sièges veloutés de l’Utop’, à l’heure du petit-déjeuner tardif (hé, c’est dimanche !), par la découverte ou le revisionnage de trois excellents courts-métrages : Le Choix de Fati de la Ghanéenne Fatimah Dadzie ; le Toutes les nuits solidaire et sur le fil, tourné dans les rues de Belleville par la Franco-Algérienne Latifa Saïd ; et le fantastique Qu’importe si les bêtes meurent de la Franco-Marocaine Sofia Alaoui, alliance de naturalisme paysan et de Rencontres du Troisième Type avec Daech en toile de fond, qui a obtenu un amplement mérité César du court-métrage en 2021.
Autant de regards de réalisatrices qui, tout au long de cette deuxième édition, documenteront, raconteront, questionneront l’Afrique, l’intime, le monde, avec des grilles de lecture mêlant lucidité éthique et inspirations esthétiques.
Nova Bordeaux vous y offre des places, ci-dessous, avec – la procédure n’a pas varié d’un iota – le mot de passe Nova Aime.