C’est une habitude dont on aura du mal à se défaire, le jour où elle tirera sa révérence et s’en ira rejoindre le palais mental de nos souvenirs : composter, chaque hiver, son bordereau pour le Festival Bordeaux Rock, ce rendez-vous des musiques indie, rock-mais-pas-que, où sont passés Thurston Moore et TH da Freak, Burgalat et A Guy Called Gerald, White Fence, Discodeine, JC Satan, Stereo Total, Marietta, Marie & les Garçons, Ride, Joakim, Chassol, Beak>, Shame, Catastrophe, Tender Forever, Peter Doherty, Frustration, pour n’évoquer qu’une poignée d’illustres.
Pour célébrer sa vingtième édition, Bordeaux Rock se met au diapason de ce glorieux passé. C’est, en quelque sorte, du rock around the clock, d’hier et d’aujourd’hui, pour affoler compteurs et cadrans, au gré de réjouissants aiguillages à lorgner ci-dessous, sur l’affiche de l’évènement, à dominante RVB (pour rouge-vert-bleu, comme le savent les plus graphistes d’entre vous). Une affiche dont l’énorme chiffre strié évoque tout autant les sillons circulaires des disques vinyles que les couloirs d’athlétisme ou le flocage des vieux maillots Adidas early 80s – clin d’oeil rétro à l’année olympique en cours ?
Toujours est-il qu’il est temps d’évoquer les (fortes) têtes d’affiche de cette cuvée 2024. Priorité aux plus jeunes, aux trentenaires Isaac Holman et Laurie Vincent, alias Soft Play, autrefois connu sous le blase de Slaves. Un hiatus douloureux (causé par la mort de la compagne de Laurie Vincent, d’un cancer, à 32 ans) et un changement de nom plus tard, revoilà le duo punk-rock originaire de Tunbridge Wells (qui est aussi la ville natale de Shane McGowan, pour l’anecdote) prêt à ruer dans les brancards, pierrots-la-foudre ou fiérots-la-poudre poussant les VU-mètres dans leurs retranchements les plus rougeoyants. C’est que ces deux-là, je cite une de leurs confessions faites il y a quelques années dans les colonnes de Rock & Folk, « se sent(ent) en sécurité quand (ils) crie(nt)« .
Autant dire ça s’annonce sportif et qu’il faudra avoir les tympans rivées sur le mode fracas grand style lors de ce concert où Soft Play défendra son nouvel album Punk’s Dead. Un disque porté par son morceau-titre rageur au clip en forme de Kamoulox géant : les deux se font castagner par une ribambelle de gamin.es dans un château arthurien gonflable, sous les yeux de Robbie Williams, l’égérie des pâtées pour chats.
Punk rock toujours, mais plus chenu, avec l’autre nom marqué en lettres considérables sur l’affiche de ce Bordeaux Rock : les Undertones. À la fin des 70s, ce groupe nord-irlandais s’est affranchi d’un contexte politique crapoteux (ados, ils ont réchappés, eux et leur famille, au « Bloody Sunday » de 1972 – épisode raconté ici par les Inrocks) pour une ribambelle d’hymnes électriques et de précipités powerpop piochant dans les troubles comme dans la facétie, tels que « Teenage Kicks », le tout aussi frémissant « Here Comes the Summer », « My Perfect Cousin », « Julie Ocean » ou « When Saturday Comes » (dont le titre est devenu l’un des plus fameux zines de foot anglais).
« Du beau bruit dans un endroit laid », dixit l’écrivain et journaliste Eamonn McCann, saluant cette vague galvanisante née dans le providentiel Casbah Bar de Derry et le disquaire belfastois Good Vibrations (dont David Bola nous narrait l’histoire dans « La Traque »). Une vague qui a submergé toute l’internationale punk, parmi laquelle l’iconique selector de la BBC, John Peel (qui a décrété que « Teenage Kicks » était la meilleure chanson de tous les temps, jusqu’à le faire graver sur sa tombe), et qui aujourd’hui touche, live, à Bordeaux.
Sans Feargal Sharkey, certes, qui goûte une retraite bien méritée (après avoir quitté la scène à l’orée des 90s pour oeuvrer dans les instances), mais avec la guitare lead de Damian O’Neill, avec cette positive touch pop-punk, avec la volonté de tracer un échappatoire fun à la morosité. Si les Undertones n’ont plus tout à fait l’âge des quatre cents coups adolescents, ne comptez pas non plus sur eux pour servir la soupe. Non au brouet, oui aux ébrouements, pour un troisième âge qui joue en quatrième vitesse, potards au max.
Dans un registre plus pop, guitares, pédales Ibanez, mélodica, classicisme indie coulant clair et limpide comme de l’eau de roche, Aline sera également de la partie, réjouissant celleux qui ont crié sur le rivage pour qu’ils reviennent. Leurs deux albums, Regarde le Ciel en 2013 et La Vie Électrique en 2015, ont marqué plus d’un.e popeux.se, regorgeant de merveilles jouées « la fleur au fusil, le cœur haletant » qu’on pourrait égrener avec délectation : « Les Copains », « Je Bois Et Puis Je Danse », « Elle M’Oubliera », « Tristesse de la Balance », « Pour Adultes et Adolescents », etc. Et on ne parle même pas de ses chansons antérieures (avec Dondolo) et postérieures (sous l’alias Donald Pierre)…
Ces jours-ci, une compilation rassemblant raretés, reprises et inédits de l’escouade emmenée par Romain Guerret permet d’ajouter quelques nouveaux titres à cet inventaire déjà faramineux. Parmi ceux-là, « La Rivière Est Profonde » citant les souvenirs de Debord dans le texte ou ce « S’Éloigner Quand Même » beau à chialer ; deux morceaux qui, on l’espère, seront en bonne place dans le tracklisting pour ces retrouvailles bordelaises, neuf ans après leur dernier passage (c’était à Palmer, pour feu le festival French Pop).
Tout ça est bien beau, System Olympia, Leroy Se Meurt et Mondowski pour assurer en club ça en jette aussi, de même que la coldwave trépidante de Kas Product (RIP Spatsz), l’art-rock londonien de Maruja ou les trilles synthwave bricolo du Rennais Robin Poligné alias Rouge Gorge, mais qu’en est-il de la couleur locale ? Elle est là, rassurez-vous, toujours bien présente.
Et pour vérifier ça sur pièce, quoi de mieux que l’immanquable soirée « Rock en ville » ? Lors de cette soirée itinérante devenue une classique pour qui veut entendre s’agiter, dans les caves et les comptoirs, l’éventail de l’underground, les têtes chercheuses pourront apprécier ici le novo-punk acide de Drunk Meat, là le les zinzineries lo-fi d’Edgar Déception, plus loin encore la twee pop de Clipperton, le garage-psyché de Bilbao Kung-Fu et Tacoblaster, le post-punk sans filtre de Mégot ou les nuances arty-gothiques de Yyellow. Le tout, de l’Avant-Scène au Redcat, de la Tencha aux Broc’s, sans oublier le Grizzly Pub, l’Antidote ou à la Maison d’Allez les Filles ; à chacun de personnaliser son parcours, de relier les points comme bon lui semble, dans le lacis urbain de la rive gauche bordelaise.
Mais la rive droite de la Garonne ne sera pas oubliée pour autant : le dimanche venu, direction Reine Cargo, quartier Bastide, pour un post-scriptum en forme de triptyque. Il y aura les parodies yoga du potache Adour Méditation, l’électro ambient de Memory Scale, et surtout le live bedroom pop, anti-folk, de Pierre Gisèle, dont les morceaux – et le tout récent album Les Animaux – sont autant de surfaces de récréation où les Moldy Peaches semblent multiplier les une-deux avec Rahill (autre fondue du ballon rond).
En familiers des lieux, la Radio Nova Bordeaux a le plaisir de vous offrir des pass pour les concerts du vendredi et du samedi soirs à la SDF Grand-Parc. Voir les Undertones, Aline, Soft Play, Kas Product, Rouge Gorge et Maruja sans bourse délier, c’est possible grâce aux tickets d’or à dégoter juste ici avec le mot de passe Nova Aime.