Jouer, sans bégayer, sur l’écho arithmétique, la répétition gémellaire, le doublé de nombres : on en connaît quelques uns qui ont suivi cette pente, du groupe Quinzequinze au collectif 50/50 – on ne parlera pas, bien sûr, des 4×4 (sauf si leurs constructeurs veulent prendre un billet pour la caravane publicitaire, mais c’est un autre sujet). Et puis, dans cette même famille des noms doublement chiffrés, il y a Trente Trente.
Rendez-vous de la création contemporaine, « rencontres de la forme courte dans le spectacle vivant » voulues, pensées et supervisées depuis deux décennies par Jean-Luc Terrade, homme de théâtre, on y a croisé des Joëlle Léandre, des Anthony Égéa, des Olivier de Sagazan (oui, le père de Zaho, on sait …) et bien d’autres.
Installez-vous à l’aise, réglez la luminosité de l’écran à votre convenance, prenez une boisson chaude si le coeur vous en dit … C’est que parler de Trente Trente, ça ne se fait pas en deux-deux.
Faire court est pourtant le point commun de ces créations – danse, musique, cirque, théâtre, performance, vidéo et cinéma. Trente propositions, de trente minutes chacune : voilà le postulat d’origine, auquel Trente Trente reste fidèle. Une demi-heure (avec parfois quelques tours de trotteuse en bonus) pour chacun.e, à charge pour elleux de ne pas faire les choses à moitié.
Tout au long des deux semaines et demi de programmation, les curieux.ses pourront ainsi éclairer leur lanterne arty avec une poignée d’expériences filmiques quêtant la beauté, l’étincelle, dans la doublure du réel, mais aussi grâce à une Wonderwoman circassienne déroutant ses fils à la patte, un translucide Cabinet de curiosité chorégraphique relié par casques audio, un témoignage hors-normes et 100% Queerass(é).
Ou encore des orchestres de bécanes et de magnétophones, l’avant-première du nouveau spectacle de Meytal Blanaru, une ronde de rollers et de batterie joyeusement désordonnée, entre autres propositions audacieuses et cartes postales d’improbables excursions ; autant de variations, déviations et dérivations salutaires pour revenir à ses pénates avec quelques étincelles nouvellement nées au fond de la pupille, si ce n’est davantage.
Autant dire que ce n’est pas la matière à palabre qui manque. Histoire de concentrer notre propos tout en entrant dans le détail, concentrons-nous sur le parcours artistique prévu le samedi 20 janvier. Pourquoi ? On vous rencarde à la fin de cet article.
Ça commencera au Marché de Lerme avec une performance musicale baptisée « Encrage ». Un moment paraphé par Audrey Poujoula, diplômée des Beaux-Arts et du Conservatoire, férue d’expérimentations. Dans son jeu sonore de typewriter atypique, la plasticienne, musicienne concrète et électroacoustique, rappelle le sketch sténo-dactylo de Jerry Lewis ou, référence plus goûtue, Lester Bangs jouant de la machine à écrire avec les blues-rockeurs du J. Geils Band (une « Night of Ecstasy » racontée en août 74 par l’intéressé dans Creem, un article traduit et compilé dans le formidable Psychotic Reactions et autres carburateurs flingués, réédité en décembre dernier).
Mêlant sons acoustiques et sons amplifiés, silences et échos, boucles et micro-contacts, improvisations à dix doigts et estocades à l’archet, Audrey Poujoula donne à la frappe typographique une rythmique destructurée pour animer des spectres grinçants. La feuille blanche devient appel d’air, partition d’un ballet post-moderne où se fomentent des « attaques noires sur silences blancs brodés dans l’hyphosphère résonnante », comme l’a formulé quelqu’un d’inspiré avant l’une de ses performances au Novo Local, où elle a joué – ainsi que pour les soirées Dédale (à l’Espace 29) ou Escalera (Monoquini aux ateliers Château Palettes).
Après ce moment musical, place à la saltation, celle du danseur chypriote Panos Malactos. Dans Hire Me, Please, un court spectacle qui sera joué en première française à la Halle des Chartrons, le natif de Limassol opère un saisissant retour-arrière, dressant un bilan ironique de son parcours et ses expériences.
Revenant sur ces saynètes immanquablement normées – jusqu’à l’absurde – que sont les auditions, les castings, les essais préalables, Malactos y pointe du doigt comme du geste l’extrême fragilité des performers, soumis aux visions, aux attentes, aux desiderata des juges, avant-postes du regard collectif. Une situation qui contraint les danseurs, dans un contexte de compétition de tou.te.s contre tou.te.s sous les innombrables mirettes scrutatrices et jugeantes d’un Argus impalpable, à développer un instinct de survie où les paradoxes se confondent comme des ombres, entre dévoilement et blindage, vulnérabilité et autodéfense, quête acrobatique du geste distinctif et préservation d’une certaine stabilité, d’un équilibre.
Ce samedi artistique se conclura par un spectacle mêlant, sur le même plateau de la Manufacture CDCN, théâtre, cinéma et littérature. On y parle d’une oeuvre en train de se faire ; écrire, dit-elle. « Ecrire, c’est attendre que vienne le temps avec ce qu’il amène et aussi ce qu’il ramène de votre vie vécue. Et vous n’écrivez pas seule : toute votre maison écrit avec vous ». Deux phrases signées Duras qui fondent « Je Dis Elle », pièce d’Arnaud Poujol, de la compagnie Monsieur Kaplan.
Inspiré par le film Écrire de Benoît Jacquot et le livre Cet amour-là de Yann Andréa, confident et compagnon 80s de Duras, « Je Dis Elle » est une discussion à trois personnages dans un dispositif immaculé ; une page blanche où s’encre une fabrique de l’écriture. Des projections et des sédimentations nourries par le cadre quotidien, domestique, qui tient de l’alchimie grotesque comme du bricolage sublime, entre considérations sur l’Art, chansons de variété et recettes de soupe qui résonnent dans ce repaire anamorphosé de Neauphle-le-Château – cité-repaire de Duras, où Sautet tourna autrefois ses Choses de la vie.
Une saynète de (re)création biographique, coeur d’un triptyque consacré à Duras, nommé « Rome Venise et Calcutta désert(s) », qu’Arnaud Poujol présente dans la vidéo ci-dessous :
Votre perspicacité vous l’aura sans doute signalé à grand renforts de clignotements : si nous avons attiré votre attention sur le parcours artistique de ce samedi 20 janvier, c’est Nova Bordeaux vous offre des places pour ces spectacles – qui sont tout à fois l’orgueil et l’ordinaire de cette 21e édition du festival Trente Trente.
Pour rafler la mise, il convient de renseigner ci-dessous, sur le formulaire, le bon mot de passe Nova Aime.
Festival Trente Trente #21, du mardi 16 janvier au vendredi 2 février 2024 @ Bordeaux, Bègles, Le Bouscat (33) et Boulazac (24). Plus d’informations sur www.trentetrente.com/