Depuis Dubaï, le lauréat 2019 du prix Albert-Londres se remémore le discours final du « Dictateur » de Chaplin : « Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés. »
Dans son dernier livre, le roman graphique Falloujah, ma campagne perdue (publié début mars aux éditions Steinkis, avec les dessins de Halim), le reporter français Feurat Alani raconte une authentique catastrophe sanitaire : le bombardement répété, à coups d’uranium, de la ville d’origine de ses parents, Falloujah, en Irak, détruite en 2004 par les troupes américaines. Le recours à cette arme de destruction massive (par un pays qui justifia son intervention en soupçonnant l’Irak de fabriquer, précisément, des armes de destruction massive) provoquera une vague de cancers et de bébés malformés, tant chez les habitants que chez les soldats US, avec un taux de contamination parfois supérieur à ceux enregistrés à Hiroshima et Nagasaki.
Journaliste pour Le Monde diplomatique, Canal+, Géo ou France 24, correspondant à Bagdad de 2003 à 2008 pour Le Point, La Croix ou Ouest-France, Feurat Alani, 39 ans, a remporté en octobre dernier le prestigieux prix Albert-Londres pour Le Parfum d’Irak (avec les dessins de Léonard Cohen, éditions Nova / Arte, 2018), recueil de mille tweets autobiographiques en 140 caractères, propices à une peinture intime et politique de l’Irak sur quatre décennies, en guerre avec l’Iran, sous embargo puis envahi par les États-Unis, jusqu’aux profondes divisions religieuses d’aujourd’hui.
« Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés ». Confiné à Dubaï où il réside depuis 2012, travaillant sur un roman comme sur la version longue de la série d’animation dérivée du Parfum d’Irak, Feurat Alani se remémore le discours final du Dictateur de Charlie Chaplin qui, par radio-transmission, dans son extraordinaire satire du pouvoir hitlérien, déclarait au monde entier : « Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent néanmoins insatisfaits. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence inhumaine. Nous pensons beaucoup trop et ne ressentons pas assez. Étant trop mécanisés, nous manquons d’humanité. Étant trop cultivés, nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence ». À nous de reconquérir ces pays oubliés, ces campagnes perdues.
Pour voir Le Parfum d’Irak, la série animée, c’est ici.
Visuel © Le Dictateur, de Charlie Chaplin (1940).