Jusqu’au 2 juillet, à Paris, le Musée Picasso présente sa nouvelle exposition “Faith Ringgold. Black is beautiful”, un parcours initiatique du travail de l’artiste afro-américaine contemporaine. L’occasion de découvrir son œuvre, encore trop méconnue en France.
Exposée en face des Demoiselles d’Avignon de Picasso dans le Moma de New York, Faith Ringgold s’inspire et détourne l’œuvre du peintre du XXe siècle pour dénoncer une situation sociale et politique contemporaine aux États-Unis.
Faith Ringgold est née dans le Harlem new-yorkais des années 1930, une époque où la ségrégation raciale était encore bien présente aux États-Unis. Une époque, aussi, où émerge un mouvement culturel afro-américain qui fera date : la Harlem Renaissance.
Héritière directe de ce mouvement, dont il faut envisager les débuts dans le Harlem des années 1920, Faith Ringgold dialogue également, au cours de sa carrière, avec les artistes modernes du début du XXe siècle. Gauguin, Toulouse-Lautrec et bien évidemment un certain Picasso (raison, aussi, de cette exposition-là dans ce musée-là).
Portrait, poétique et politique
Faith Ringgold commence par peindre des séries de portraits dans les années 1960. Le contexte social, historique et politique de son époque transparaît dans son travail. Avec la série American People, présentée actuellement à Paris, elle interroge l’utopie du American Way of Life, le mouvement des droits civiques et la position de la femme noire. À travers des portraits d’individus, figuratifs, elle dépeint une condition collective et politique.
Parmi ces séries de portraits, Black is light célèbre l’esthétique afro-américaine. Dans ces portraits de personnes noires-américaines, elle développe tout un jeu sur les couleurs et sur la lumière. Faith Ringgold va travailler les nuances de noir, de marron, d’orange et de bleu.
Le tableau US American Black est une grande toile, divisée en huit parties, huit portraits. Le fait que la toile soit divisée en plusieurs parties permet d’offrir différents angles sur chacun des portraits, formant ainsi une sorte de kaléidoscope. Jeu kaléidoscopique qui se répercute aussi sur les couleurs.
Fil rouge bleu
Faith Ringgold souligne les traits des visages en utilisant un contour bleu clair. C’est quelque chose que l’on peut aussi retrouver dans l’œuvre d’Alice Neel, peintre américaine de la même période (récemment exposée au Musée Pompidou) qui a d’ailleurs réalisé un portrait de Faith Ringgold.
Dans les années 1970, elle réalise ensuite des affiches politiques typographiques, aux couleurs du panafricanisme, du Black Power et du féminisme, et à partir de la seconde moitié des années 1970, elle élabore ses premières performances.
Tissus et textes
L’autre pan de l’œuvre de Faith Ringgold est celui du travail du tissu. Dans un premier temps, elle réalise des “tankas”, des peintures sur tissus, issues de la tradition tibétaine et népalaise du XVe siècle. Ses tissus sont encadrés de broderies réalisées par sa mère, la styliste Willi Posey, avec une peinture au centre, créant un riche jeu de textures.
Dans les années 1980, elle se lance dans la conception de toiles narratives, les “quilts”. Cette fois-ci, ce ne sont pas des broderies qui encadrent les assemblages de tissus peints, mais des textes qui mêlent fiction, autobiographie, histoire, enjeux artistiques et politiques.
Elle imagine une sorte d’alter-ego, une jeune artiste afro-américaine dans le Paris des années 1920. Dans Wedding on the Seine, Willia Marie Simone, cet alter-ego, fuit son mariage pour se consacrer à sa vocation d’artiste. Elle est représentée sur le Pont Neuf, en robe de mariée, jetant symboliquement son bouquet de mariée dans la Seine.
Ce travail du tissu par Faith Ringgold n’est pas une pratique isolée de l’histoire de l’art. Dans la première moitié du XXe siècle, en France, les artistes femmes des avant-gardes n’arrivaient pas souvent à vivre de leur art et étaient confrontées à un certain rejet de la part des cercles artistiques, majoritairement masculins. Plusieurs d’entre elles se tournent alors vers le travail du textile, et même vers celui de la marionnette. C’est un geste artistique fort, par lequel elles se réapproprient des pratiques auxquelles elles sont parfois assignées de force, car connotées comme spécifiquement “féminines”. L’exposition Pionnières au Musée du Luxembourg en 2022 présentait notamment ce travail, comme les toiles d’Alice Halicka (1895-1975), auxquelles elle intègre du tissu sous formes de vêtements en relief.
À partir des années 1990, Faith Ringgold se met également à publier des livres pour enfants.
Cette exposition est la première à réunir, en France, un ensemble de ses œuvres majeures, elle s’inscrit dans le prolongement de celle qui lui a été consacrée au New Museum, à New-York, début 2022, et se déroule jusqu’au 2 juillet au Musée Picasso.
Rencontres-débats, journées spéciales et projections sont organisées dans les semaines à venir et jusqu’à la fin de l’exposition, pour le programme, c’est ici.
Vous pouvez aussi écouter le Coup de cœur de Néo Géo Nova du 5 février 2023, qui lui était consacré, avec des commentaires de la commissaire d’exposition Cécile Debray.