En 2013 résonne un seul et même son de cloche : « c’est la crise ».
En péninsule ibérique, cela fait déjà un moment que l’industrie du film en prend pour son grade.
En 2011, le contexte morose a poussé le gouvernement espagnol à réduire de manière drastique l’enveloppe du Fondo de Protección a la Cinematografía (principale source d’aide à la production), ainsi que le budget de l’Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales. En plus de ça, le premier ministre Mariano Rajoy a eu la bonne idée de hausser la TVA sur le prix des places de cinéma. Il faut désormais compter entre 8 et 9 € pour voir un film en salle ; autant dire un investissement qui ne traverse même pas l’esprit du chômeur moyen (ils sont plus de 6 millions actuellement en Espagne).
Les salles engagées qui proposaient une offre variée et de qualité font face à une fréquentation de plus en plus limitée. Du côté des producteurs indépendants, on constate une vraie difficulté à trouver des distributeurs et des salles en Espagne, et par conséquent à trouver un public.
Restent les festivals, qui représentent une bonne alternative à la circulation quelque peu compliquée des circuits traditionnels, et permettent un rapport direct avec le public, la possibilité d’échanger et de voir des projets un peu différents. Ainsi, c’est au 46e Festival International du Film de Catalogne de Sitgès que je rencontre Gilles Gambino, un jeune réalisateur français installé à Barcelone, qui a réussi à faire sélectionner son premier long-métrage dans la section Noves Visions Emergent. Ce film a été réalisé en 30 jours et avec 5000 euros.
Pour produire un film, il est généralement recommandé d’essayer d’obtenir un apport financier de la télévision publique catalane TV3 ou une subvention du Ministère de la culture ou de la Genralitat (le gouvernement catalan). Gilles ne connaît rien de ces circuits, et n’a même pas essayé. « On a fait ce film sans aide, et comme dirait Coluche dans un de ses sketches, « si la société ne veut pas de nous, qu’elle se rassure, on ne veut pas d’elle« , dit-il en rigolant. Les circuits de financement, quels qu’ils soient, sont lents et complexes. Il faut remplir des dossiers, correspondre à des critères, attendre la décision des commissions, etc. Pour moi, l’acte de création est immédiat. Encore plus maintenant avec l’évolution de la technologie. On n’avait pas envie d’attendre pour savoir si on nous permettrait de le faire…»
Pas besoin de grand-chose : sa propre caméra, des lieux de tournage familiers, et des amis qui ont un peu de temps à tuer en attendant de trouver un vrai métier. L’idée de départ est une série racontant les aventures d’un freak de la botanique hypocondriaque, qui s’appellerait Jesús María Cristóbal Pequeño. Un premier épisode est tourné, duquel sortira un teaser d’une minute et demie, et on y va au culot : on en parle, on fait circuler, on le propose à divers festivals. Banco, le directeur de Sitgès Angel Sala sélectionne le film à partir de ce teaser.
C’est là que l’aventure commence vraiment, la nouvelle étant un coup de boost indéniable. Une trentenaire drôle et piquante me raconte la suite ; c’est Vanessa, qui est en charge de toute la communication. Effectivement, Gilles semble savoir bien s’entourer. « On a commencé à 3, puis l’équipe a grandi de jour en jour avec le bouche-à-oreille. Le premier jour, Gilles faisait la direction, la caméra et la lumière. On a parfois travaillé sans autorisation de tournage, et on a dû partir en courant avec le trépied et la caméra plus d’une fois. » Et Gilles de renchérir : « ce genre d’aventure demande une grande faculté d’improvisation, jusque-dans le scénario. »
Le profil du reste de l’équipe ?
« Il n’y a pas vraiment de profil particulier, même si dans ce cas l’équipe était particulièrement jeune. J’aime bien travailler avec des « émergents », des artistes et des techniciens qui commencent dans le métier mais qui ont déjà de solides bases. Ils ont une énergie incroyable, ils en veulent et viennent avec des idées fraîches.
Bref, le plus important c’est de maintenir une ambiance de travail ludique et agréable malgré toutes les difficultés qu’on peut rencontrer. »
L’équipe va ensuite faire appel à la générosité des internautes pour financer le projet (crowdfunding). « L’idée, c’est de dire aux gens, vous voulez être plus actifs dans ce secteur? Participer à la mise au monde de quelque chose, plutôt que d’attendre de le consommer une fois terminé? » Il s’agit également de rembourser les frais engendrés par le tournage.
Avant de prendre congés, je les félicite pour la beauté du geste. Une initiative plutôt cool, dans un pays où les productions locales ont parfois du mal à se financer et à circuler, et qui rappelle encore l’importance des festivals : interaction directe avec le public, encouragement à la production d’œuvres diverses et spontanées.
Jesus ne le sait peut-être pas encore, mais il vit un moment clef. Sa première rencontre avec le public, sa première occasion de trouver un distributeur.
Derrière il restera vivant, si le spectateur achète sa place ou un dvd. Après la parenthèse déterminante du festival, son avenir dépendra du rapport commercial du public à la consommation de films.
Qui vivra, verra.
En attendant je trinque à sa santé.