Spécialiste des désastres de Tchernobyl, cette historienne et dissidente russe considère que « rien n’est pire que des utopies réalisées : le rêve communiste a produit non pas des géants, mais le Goulag et l’asservissement ».
« Cette réhabilitation de la période soviétique – qui n’apparaît plus comme une parenthèse tragique et malsaine, mais comme une époque globalement positive dans le cours de l’histoire millénaire de la Russie – satisfait une grande partie de la population qui a du mal à accepter que quatre générations de Soviétiques aient pu vivre “dans le mensonge”, comme disait Soljenitsyne. » Dans son dernier ouvrage, Le Régiment immortel (éditions Premier Parallèle, 2019), l’historienne, journaliste, écrivaine et traductrice russe Galia Ackerman, 72 ans, décrit de manière assez captivante et fort accessible les origines et l’essor du colossal regain de patriotisme russe sous l’autorité de Vladimir Poutine, qui s’active à « militariser les consciences ».
Enseignante à la Sorbonne et chercheuse à l’université de Caen, elle s’interroge : « Qui aurait le courage de faire siennes ces lignes amères du grand réalisateur soviétique Eldar Riazanov : “J’aurais aimé vivre dans un pays dont j’aurais été fier. Mais le sort a voulu que je naisse dans un grand merdier.” ? N’oublions pas que si cette population compte les familles des millions de victimes du Goulag (exécutées et emprisonnées), elle compte également celles, très nombreuses, des collaborateurs de la police secrète et de l’appareil carcéral, ainsi que des millions de délateurs. »
Pour cette spécialiste des désastres de Tchernobyl ou du rôle de la Russie dans la Seconde Guerre Mondiale, la notion « d’utopie », sujet de ce podcast, résonne donc de manière assez singulière. Dans son pays qui s’envisage comme « messianique » et appelée à porter « le flambeau de l’humanité », « l’expérience montre que rien n’est pire que des utopies réalisées. Le rêve communiste a produit non pas des géants, mais le Goulag et l’asservissement. Le rêve soviétique des grandes récoltes, la destruction de la steppe russe et kazakhe. D’autres rêves réalisés furent également ravageurs, comme celui d’une énergie bon marché qui a donné Tchernobyl et Fukushima. »
Prudente et pragmatique, cette dissidente, qui fut longtemps journaliste à RFI, confie alors, depuis Paris où elle vit depuis plus de trois décennies, qu’elle a « peur de rêver d’un monde meilleur » et « n’aspire qu’à la paix » pour elle et les siens. « L’humanité aussi se portera sûrement mieux si elle est guidée non par des utopies, mais par le désir de chaque gouvernement et de chaque individu de vivre en paix avec soi et les autres. » Mais comment parvenir à cette paix, Galina ? « Il y a deux recettes très anciennes. La première est du Sage Hillel, qui vivait à Jérusalem à l’époque du roi Hérode : “Ce que tu hais, ne le fais pas à ton prochain.” La deuxième est du rabbi Nahman, qui vivait en Europe de l’Est à la fin du XVIIIe siècle : “Le désespoir n’existe pas.” Essayez de les suivre et vous verrez ! »
Image : Chernobyl, de Craig Mazin (2019).