Entre film de genre et constat politique, Les anarchistes est un étonnant film d’époque, parlant autant d’aujourd’hui que d’hier.
Paris 1899, Jean Albertini, brigadier de police fraichement nommé est chargé d’infiltrer un groupe d’anarchistes. Non seulement il va finir par rejoindre leur cause, mais surtout tomber amoureux de Judith, une de leurs membres. Il va falloir qu’il choisisse entre l’ordre et le désordre…
Il y a trois ans, il était déjà question dans Alyah, (Pio Marmaï en dealer à la petite semaine partagé entre l’amour à Paris et une installation à Tel-Aviv) le premier film d’Elie Wajeman de dilemme cornélien. Il se diffuse dans Les anarchistes lorsque ce second essai veut combiner film d’inflitré et portrait d’une jeune génération politisée.
Du premier, genre plutôt territoire du cinéma américain – Les infiltrés – ou asiatique – Infernal affairs dont le Scorsese est justement un remake- Wajeman emprunte, plus que le concept de base, une part de romanesque : un flic en immersion dans un gang, ça finit toujours par être quelqu’un déchiré entre les deux camps, de plus en plus sur un fil. Tahar Rahim avait déjà tâté le terrain avec Un prophète, il joue de nouveau très bien la partition d’un rôle torturé par sa fonction et ses désirs.
Pour ce qui est de la jeunesse, le casting est impeccable : face à Rahim, Adèle Exarchoupoulos en fille qui lui ouvre les portes, laisse entrer le loup dans sa bergerie. Mais aussi une véritable troupe d’acteurs piochant ce qu’il y a de mieux (Swann Arlaud, Guillaume Gouix, Karim Leklou, Sarah Le Picard…) dans le vivier du moment.
Cette bande-là à beau être drapée dans des costumes d’époque plus vrais que nature, elle propulse Les anarchistes loin d’un Paris fin de siècle. Surtout quand Wajeman voit son groupuscule loin de l’image d’épinal de l’anarchisme du début du XXe siècles. Ses anars sont issus de tous les milieux : prolos, bourgeois, intellectuels, rustres… Ils sont réunis par le sens d’une utopie qui semble animer la jeunesse d’aujourd’hui. Jusque dans ces piques dirigées contre le Parti Socialiste de l’époque, qui pourrait sans en changer beaucoup de mots semblée adressée à celui actuel.
De manière plus générale, Les anarchistes fuit la reconstitution poussiéreuse, n’aime pas l’académisme. Au point d’aller flirter avec l’esthétique sensorielle d’un Bertrand Bonello. Jusque dans sa bande-son, où s’immisce ici et là, une chanson des Kinks ou de Ken Booth. De l’anarchisme à l’anachronisme, il n’y a finalement que quelques lettres.
Albertini aura de plus en plus de mal à écrire les siennes, ces rapports qu’il fait régulièrement à son supérieur, tant il est séduit par les manières de dandys de la bande avec laquelle il fraie désormais. Le piègeur s’est fait piéger. Tout ça finira évidemment mal.
Sauf pour ce cinéma français qui depuis quelques temps (Augustine, L’appolonide ou Le journal d’une femme de chambre et quelques autres) s’est installée dans cette drôle de période que fut le passage du 19e au 20e siècle pour décrypter les aspirations d’une jeunesse prête à foutre le feu. Wajeman n’oubliant pas le camp adverse quand sa police, usant et abusant de la surveillance, n’est que les prémisses des lois qui se préparent du côté de chez Bernard Cazeneuve.
Le générique de début des Anarchistes, mêle portraits d’époque et musique soul. Difficile de mieux résumer un film qui draîne le passé pour exprimer un mal à l’âme d’aujourd’hui.
En salles le 11 novembre