La chronique de Jean Rouzaud.
Le livre –dossier de Giulia Mensitieri (aux éditions de La Découverte) est une analyse sociologique large qui observe tous les étages de l’industrie de la mode. Le constat est pour le moins amer.
Parfaitement découpé en chapitres (production, répartition , émotions…) cette enquête à le mérite de raconter régulièrement, au milieu des considérations sociologiques, capitalistes, techniques, des cas particuliers sur le terrain.
Piège diabolique
Ces réactions à chaud, ces situations décrites dans le détail des apparences, puis les conclusions qui s’imposent : injustice, exploitation, sous-paiement, chantage, et tout l’arsenal des abus de pouvoir, ressemblent à un piège diabolique !
Pour toutes celles et ceux qui rêvent de mode, voici l’antidote absolu : la quantité de personnes travaillant dans l’industrie prospère de la mode, mais qui ne sont pas ou très peu payés est effarante.
Ce ne sont plus seulement les petites mains de la couture, ces femmes exploitées à des travaux interminables de précision, des centaines d’heures sous-payées, mais également mannequins, assistants…qui témoignent de leur souffrance, sans aucune contrepartie, sauf le fait d’être là, soi-disant au coeur du luxe ?
Quand aux armées de ceux qui se lancent et se ruinent pour de petites collections, même en ayant exploité au maximum des ouvriers en Inde, Indonésie, Bangladesh…Ils sont les victimes désignées du miroir aux alouettes qu’est cette « machine à rêver ».
Les considérations de servitude, faux-semblants et mirages sont appuyées par les théories de Bourdieu ou de Foucault sur la pauvreté ou l’autorité, ou la servitude volontaire si répandue chez les fashion victims !
Ce n’est pas qu’un système qui est décrit dans son inhumanité, mais aussi le fantasme absurde de tant de jeunes à se précipiter dans cette foire aux apparences, au super luxe, aux défilés à grand spectacle, au gaspillage éhonté, dont ils ne retireront qu’humiliation et fatigue…et quelques paillettes sur leurs baskets usagées !
« Plein la vue ! »
Ces industries transnationales de la mode, du luxe, des accessoires sont devenues des hydres aux multiples têtes, et n’ont même plus besoin de satisfaire à des exigences d’utilité ou de faisabilité. Elles doivent par contre miser à fond sur l’image, le look, le flash, l’exploit…
« Plein la vue ! » est le diktat idiot pour dompter les foules, puis des vêtements customisés par des dizaines d’artisans : patronniers, brodeurs, plumassiers pour arriver à des monstres hors de prix, pièces uniques ou jamais portées, juste pour une couverture de magazine.
Imaginez tous les dommages collatéraux de telles entreprises : banale inhumanité, personnel corvéable, mots d’ordres absurdes, hiérarchie
bestiale, car ces domaines très fermés sont aussi étanches, coupés du monde, pour cacher leurs aspects innommables.
Avec ce livre étude, vous connaîtrez les notions de « consentement » (autrement dit assujettissement, servitude volontaire), et d’ »hétérotopie »
(issu de Michel Foucault : lieu physique de l’utopie, soit pour la mode, un monde de fous !) Même sans faire de philo, vous comprendrez mieux tous ces rapports faussés par l’illusion.
L’auteure – sociologue en conclut que la mode est devenue un véritable « capitalisme rêvé » : avec ouvriers prolétaires exploitables à merci, aux tâches délocalisées et éparses avec une flexibilité maximale, pour des produits atteignant une marge bénéficiaire énorme !
À vous de juger de votre degré de soumission à ce bulldozer-mode !
À écouter également, l’intervention de l’auteure, Giulia Mensitieri, dans L’Heure de Pointe.
Le plus beau métier du monde. Dans les coulisses de l‘industrie de la mode. Par Giulia Mensitieri. Éditions la Découverte. 275 pages. 22 euros
Visuel : (c) Getty Images / Pallava Bagla