La chronique de Jean Rouzaud.
Avec ce livre de 800 pages, les éditions de l’Opportun nous donnent l’opportunité de débroussailler un peu nos façons de parler…
Car en plus d’avoir emprunté des mots à pas mal d’autres langues, le français est aussi bourré d’expressions anciennes, latines, grecques ou religieuses, animales ou chiffrées, le tout assez anarchique et dont l’origine est perdue pour la plupart d’entre nous.
C’est le cas de le dire : « parler le français comme une vache espagnole », en fait se disait… comme une vache L’espagnol ! (qu’elle ne risquait pas de parler…) En enlevant le « L », c’est plus méchant : non seulement c’est une vache, mais espagnole en plus !
Déformations, fautes et quiproquos
On s’aperçoit très vite que beaucoup de ces formules contiennent des déformations de mots, des fautes ou des quiproquos… Le « Chaud lapin », vient de Chaud la pince ! La main donc, chaude et baladeuse.
« Copains comme cochons » vient du vieux français « soçon », membre d’une société, association, bref de sociable. Mais avec cochon, c’est plus douteux, ambigu.. Les copains font des cochonneries, donc plus drôle !
« Sauter du coq à l’âne ». Il s’agit de l’ane, femelle du canard (vieux français, du latin anas = canard, et non asinus l’âne..) mais là encore c’est plus bizarre et frappant avec l’âne, surtout pour la connotation sexuelle…
Quant à « peigner la girafe », expression drôle et oubliée, elle signifiait ne rien foutre, n’avoir rien à faire et par extension se branler… Suite au cadeau (une girafe !) de Mehemet Ali d’Egypte à Charles X, en 1827, les français allèrent… la peindre ! (qui se conjugue : peigner, ils peignent…) Il fallait n’avoir rien d’autre à foutre…
À chaque fois la méchanceté, l’exagération augmente l’expression. La formule devient plus vache (tiens, pourquoi vache ?) On en rajoute, comme pour se réapproprier les formules, notamment d’église.
« Vingt dieux ! », juron paysan, vient de « Vain Dieu », mais dire que Dieu est vain est sacrilège, ou même « Vends Dieu » (comme Judas), alors on le dit, mais on l’écrit Vingt, on le multiplie, c’est moins grave ?
Vous voyez ? On transforme, maquille, et je crois que c’est le sort des langues, d’être triturées, déformées, adaptées à nos façons de vouloir dire. « Appeler un chat un chat », avait un vrai sens quand chat signifiait le sexe féminin. On devrait dire « appeler une chatte une chatte ».
« S’en moquer comme de l’an quarante » ? Se dit moins, mais en fait cela voulait dire s’en moquer comme de l’ « Alcoran » (!), oui, les Français parlaient du Coran (précédé du pronom al = le)… Encore un coup bas, qui se voulait méprisant, et qui fut édulcoré. En passant, beaucoup de mots techniques commençant par al (algèbre, alchimie…) viennent de l’arabe.
Nous parlons un « salmigondis » (mélange de viandes réchauffées ?), nous utilisons tout ce qui est possible : images, allitérations, symboles, nous mixons langues et mots, pour arriver à nos fins, c’est-à-dire exprimer (en s’amusant quand c’est possible) des idées et des façons d’être, mal répertoriées, ou par manque d’adjectif direct.
Tout cela nous tourne un peu en bourrique ? « Têtue comme une bourrique », la pauvre gentille ânesse est traitée d’idiote, d’incapable, de figée par ignorance… Le mot sonne bien et on en abuse méchamment. Le bourrin lui vient maintenant à la rescousse, mais pour les mêmes raisons, alors c’est pareil : « kif-kif bourricot » ? (mais bourrique, en argot du début du XXe siècle, a voulu dire : fille malhonnête, puis policier, puis délateur, et enfin indicateur…)
De toute façon, tout cela continue d’être modelé, des mots aux phrases, des appellations aux importations : bien d’autres expressions sont en préparation, elles restent souvent moqueuses ou caricaturales.
L’être humain serait-il « méchant comme une teigne » ?
500 expressions décortiquées. Par jean Maillet. Éditions de l’Opportun. 800 pages. 15 euros 90 (classé par genre). Toute l’histoire y passe. Véritable dictionnaire historique des expressions françaises.
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