La chronique de Jean Rouzaud.
Gordon Matta Clark (1943- 1978), fils du peintre surréaliste Roberto Matta, et frère de notre camarade Ramuntcho Matta, musicien (parmi cinq autres frères et sœurs), a connu une carrière éclair dans les années 70, avant une fin prématurée en 1978.
Sortie d’une école d’Architecture (Cornell University : 1962-1968), il est à New York et démarre un travail unique, qui sera surnommé « anarchitecture », vu sa démarche radicale et néo anarchiste…
En effet, ses préoccupations sur l’urbanisme, les banlieues, les déshérités, vont trouver à New York, dans le sud du Bronx, à cause du déclin économique et de l’exode vers la banlieue, un terrain d’expérimentation.
Gruyères de béton
Gordon va, après autorisation, et sur des immeubles abandonnés ou voués à la casse, s’emparer des restes, murs, sols et plafonds, pour les percer de grands trous comme des gruyères de béton !!!
Cette méthode de destruction, déconstruction, directement attaquée avec des scies à béton géantes, va donner des arrondis béants, des ouvertures sauvages, des lucarnes rondes permettant de « voir » à travers de nouvelles perspectives !
Dans le Bronx, il pratique des ouvertures carrées dans les sols, laissant des vides vertigineux (Bronx Floors), à travers les étages !
Ces immeubles, hangars, bâtiments, se retrouvent percés d’ouvertures béantes, parfois même sur leurs angles, ouvrant à la fois murs, sols et plafonds (Conical intersects, Paris 1975).
Rage de détruire, rage d’ouvrir
Étrange rage de détruire, d’ouvrir, d’aérer…Pour que l’œil puisse traverser, comme un passe-muraille, les limites du bâti.
Cette idée d’architecture déconstruite fera des émules du côté des conceptuels et des déconstructivistes, notamment, friands d’idées nouvelles et impatients d’en découdre avec l’architecture classique.
Matta Clark, anarchitecte, veut mettre en cause, faire penser et raisonner autour de l’urbanisme, des exclus, les années 70 étant totalement vouées à la contestation tous azimuts.
Il nous laisse des photos, mais aussi des détails de graffitis, de murs rongés, de quartiers en ruine et d’autres expériences. Il vendra son camion recouverts de graffitis, découpé en petits morceaux.
Imitant les sans-abri qui se logent avec des débris, il exposera aussi un mur de détritus, un « garbage wall » en mémoire des techniques de récup, mais poussées à bout.
Le dadaïste Kurt Schwitters fut le premier a créer des ouvres, sculptures, toiles et bas-reliefs avec ce qu’il ramassait par terre, dès les années 1920 (suivi par Hans et Sophie Arp).
La mémoire de cet anti-architecte est réunie dans une exposition au Musée du Jeu de Paume, avec une centaine d’œuvres et de documents.
Gordon Matta Clark. Anarchitecture. Du 5 juin au 23 septembre 2018, Musée du Jeu de Paume. Paris, place de la Concorde.