La chronique de Jean Rouzaud
Jusqu’à récemment, les musiciens se servaient d’un instrument pour composer des mélodies, qui sortaient d’on ne sait où (?), au gré de l’inspiration de ceux qui réussissaient à aligner des séries de notes.
Après des siècles de mélodies, d’accords, d’harmonies plus ou moins réussies, les humains inventèrent des machines à enregistrer puis réutiliser les musiques, accords, mélodies…Cela se passait vers la fin du XXe siècle, justement, quand la vente de ces musiques gravées battait son plein. Et en plus, des décennies de trouvailles musicales, de styles, de genres venaient d’être accumulés.
Ces nouvelles machines à extraire, recopier, à diviser, séquencer, reproduire, étirer, accélérer, hacher ou même mettre ces sons en purée, se trouvaient partout.
Corne d’abondance
L’idée vint de faire des collages, des patchworks, du tricot avec toutes ces expérimentations musicales du passé : la corne d’abondance ! (surtout que ces trouvailles, arrangements, solos, chœurs ou rythmes avaient une « côte » de valeur, de succès, comme à la bourse).
Il y eut donc des centaines et plus de ces photocopies musicales , sortes de collages d’éléments tout prêts. Et les nouveaux produits obtenus, étaient censés avoir récupéré la valeur des éléments réutilisés !
Merveille de la copie : on revend le même ou presque, avec un emballage différent, et le tour est joué ! On a sauté l’étape « création de mélodie », vieille alchimie, en voie d’extinction…
L’être humain, étant particulièrement retors et imaginatif, en terme de survie et de prédation, transforma en une sorte d’art (!), son habilité à utiliser cette méthode de reproduction, en y ajoutant toutes sortes d’ingrédients : sauces, parfums, épices (pitch, scratch, flow…)
Musiciens…sans instruments
Voici donc les musiciens sans instruments, ni notes, ni partitions : le roi est nu, vive le ro…! Les rois du cocktail qui, après les disc jockeys (simples passeurs de disques, élevés au rang de maîtres), vinrent ajouter l’indispensable touche d’« arrangements » : les mix ?
Et pour chanter les mérites de ces prestidigitateurs, rois de la manipulation « comment faire du neuf avec du vieux », vinrent les exégètes, critiques, esthètes de la chose, vantant la nouveauté absolue de cette technique, mystérieuse et magique, qui renforce les sons, en les adaptant au goût du jour.
Et il est vrai qu’il y a des résultats : des vibratos, larsens, basses, scratchs, bégaiements, glissements, superpositions, accélérations (savez-vous que le Dubbing était interdit aux US jusqu’aux années 50 ?*)
La production = la création
Oui, un nouveau monde était né. L’arrangement, la production devenant la création.
Les éditions Le Mot et le Reste publient une somme de deux-cent tubes samplés de ces quarante dernières années avec, pour chaque titre, le disque original dont il est issu !!! Le modèle ET le sample enfin réunis…
Et dans cette anthologie, pour chacun de ces titres, l’histoire, et bien sur les bagarres, procès, désaccords, plaintes, jugements autour des parties réutilisées. Miracle : dans 99% des cas, les créateurs des parties originales ont gagné et raflé la mise, même sur ceux qui ont affiché leurs intentions d’acheter les droits.
Au dernières nouvelles, les rois du sample se tourneraient vers l’Afrique et l’Asie en quête de nouvelles pépites inconnues à mixer.
Est sorti aussi récemment, aux Aux éditions le Mot et le Reste, Sample. Aux origines du son Hip Hop, par Brice Miclet. 256 pages. 20 euros. 200 titres et leur modèle racontés avec images N&B des pochettes + un lexique de toutes les expressions techniques du sampling à la fin.
*La loi américaine avait repéré les dangers du Dubbing et de son usage (Phil Spector abusa de cette technique sur les superpositions de voix et de guitares, et finit par être condamné, au bout de 20 ans, à payer les droits – camouflés par overdubs et effets – , aux musiciens et chanteuses plaignants…)