Dans les 90’s, la musique punk se conjugue enfin au féminin. Et Bikini Kill y est pour quelque chose.
Sur Bikini Kill Records, la réédition d’un groupe culte, qui fit bouger les lignes de l’autre côté de l’Atlantique, et bien au-delà.
En 1991, près de quinze ans après l’explosion du mouvement punk en Angleterre, et bientôt partout ailleurs, trois jeunes filles vont bouleverser à tout jamais l’histoire de la scène rock, et plus largement, celle de la place des femmes dans la musique. À Olympia, petite ville de l’État de Washington, une jeune étudiante en photographie, qui bosse comme strip-teaseuse pour financer ses études et sensibilisée depuis bien longtemps, l’un n’empêchant pas l’autre, à la cause féministe (sa mère a mené des combats clandestins contre les violences conjugales, et avait emmené sa fille, très tôt, à un discours de la militante et activiste Gloria Steinem), va bientôt exprimer sa révolte par le biais, à son tour, de la musique punk.
Viol, patriarcat et violences conjugales
Kathleen Hanna, alors âgée de vingt-cinq ans, a évidemment écouté Patti Smith, The Slits, Lydia Lunch, Kim Gordon (de Sonic Youth), The Slits ou The Raincoats pendant ses jeunes années. Avec Tobi Vail et Kathi Wilcox, rencontrées à l’Evergreen State College, à Olympia donc (une université d’avant-garde, où l’on ne délivre pas de notes aux étudiants) et déjà membres de groupes punk locaux, va fonder Bikini Kill, et mettre, à son tour, son pied dans la musique punk, afin d’emmener ce genre viril et alors plutôt réservé à un public masculin, plus loin qu’elle ne l’aurait jamais espéré. Très vite, les paroles ultras violentes et engagées des morceaux de Bikini Kill, qui hurlent et condamnent le viol, la domination du patriarcat, le racisme, les violences conjugales et les insatisfactions sociales ont un impact considérable sur la scène locale, et bientôt nationale. Au sein de Revolution Girl Style Now, la cassette du groupe sortie en 1991, déjà, quelques morceaux aux titres évocateurs : « Candy », « Daddy’s L’il Girl », « Suck my left one », « Liar »…
Abrasives et furieuses en live, où elles invitent systématiquement le public féminin à se placer devant la scène, et surtout devant la gent masculine, afin d’éviter quelques coups malvenus et quelques contacts corporels inappropriés, elles prouvent à quel point la musique punk n’est définitivement plus réservée qu’aux hommes. D’autres émules naitront bientôt, dans la foulée d’un mouvement qui prendra bientôt une ampleur inattendue : Bratmobile, Heavens fort Betsy, Sleater-Kinney, L7, et d’autres, souvent éphémères et anecdotiques, mais habitées par cette idée, viscérale au punk : tenter des trucs, sans vraiment savoir ce à quoi ça va aboutir. Et peu importe si on n’a pas le moindre talent initial pour ça.
L’année suivante, en 1992, et après avoir été rejoint par le garçon Billy Karren, Bikini Girl fonde, aux côtés de Bratmobile (le trio est composé d’Allison Wolfe, d’Erin Smith et de Molly Neuman, et vient cette fois de Washington), le fanzine Riot grrrl, une publication qui scellera définitivement la naissance du mouvement du même nom. Le magazine, et le mouvement dans sa globalité (dont la plupart des membres se sont rencontrés, physiquement parlant, au sein d’un festival qui leur offre une nuit entière, le Pop Underground Convention, en août 1991), sont bientôt soutenus par des grands noms de la scène rock indépendante, de Kim Gordon à Ian MacKaye en passant par Kurt Cobain. La légende raconte même que c’est Hanna, proche de Kurt Cobain, qui aurait suggéré au chanteur de Nirvana le titre du tube planétaire « Smells Like Teen Spirit ». Sur un mur délabré, elle aurait en effet pris le soin de taguer ces mots : « Kurt Cobain smells like Teen Spirit spray ». Fun fact.
Rebel girl you are the queen of my world
Joué pour la première en décembre 1991 à Washington, le morceau « Rebel Girl », qui semble synthétiser à lui seul l’essence et l’horizon du mouvement, devient le tube ultime de Bikini Kill, celui que l’on connaît, alors, sans même l’avoir jamais vraiment entendu en intégralité. « Rebel girl you are the queen of my world » : le morceau sort en 1993 sur Yeah Yeah Yeah Yeah, split-album entre Bikini Kill et le groupe britannique Huggy Bear, un morceau qui sera au centre, notamment, du documentaire It Changed My Life: Bikini Kill In The U.K., réalisé par Lucy Thane en 1993. D’autres disques sortiront sur le label Kill Rock Stars, né dans la foulée du mouvement du côté d’Olympia, et s’éteindra doucement, en 1997, deux ans après la sortie de l’album Reject All American et de son titre phare, « I Like Fucking », qui sera reçu de manière relativement tiède par la partie la plus conservatrice du public américain…
Si l’on vous parle aujourd’hui du Riot grrrl, et de son groupe porte-étendard, c’est que Kathleen Hanna avait déclaré il y a un avoir l’ambition de rééditer l’intégralité de la discographie de Bikini Kill par le biais du label lancé par le groupe, Bikini Kill Records. Une partie de cette discographie, le timing est bon, est donc aujourd’hui sur le point de ressortir en vinyle, et concernera dans un premier temps les singles du groupe, une compilation qui arrive le 25 septembre et qui comportera notamment les titres « New Radio », « The Anti-Pleasure Dissertation » et « I Like Fucking ».
Une sortie à guetter donc, et à attendre, pourquoi pas, en se refaisant la Nova Book Box consacrée à l’essai publié aux éditions La Découverte, intitulé Riot grrrls, chronique d’une révolution punk féministe, signé de la Française Manon Labry, docteur en civilisation nord-américaine.
Bikini Kill, the Singles. Sortie sur Bikini Kill Records le 25 septembre. Prévente.
Visuel : (c) capture d’écran Youtube