Des albums, il en sort désormais 2520 par semaine (chiffre approximatif). Pour vous aider à faire le tri, voici la sélection hebdo de Radio Nova des albums à ne pas louper.
Goat, Oh Death
Depuis la cité de Korpilombolo, dans la région de Norrbotten (nord de la Suède) a émergé il y a une décennie une secte vaudoue, téléportée bien loin de l’ancien royaume du Dahomey (actuel Bénin) où est initialement née cette religion endogène, à laquelle on associe évidemment l’image d’une transe vertigineuse qui amène l’esprit bien loin du corps qui l’abritait alors. Cette secte se nomme Goat, comme l’animal bovidé que certains assimilent au diable, et a sorti en 2016 un album, Requiem (tiens donc…), qui avait fait connaître au monde des vivants cette musique qui semblait extraite des profondeurs les plus lointaines de la terre. L’intention est méchamment psychédélique, tribale, mais aussi funk, jazz, afro-beat. Vivifiante, énergique, transcendée. Les membres de Goat sont masqués comme dans des tribus qui n’oseraient dévoiler l’identité de qui que ce soit, présentent aujourd’hui leur nouvel album Oh Death et sont naturellement joués sur Radio Nova, où nous aimons les failles et ceux qui s’y engouffrent, les marges et ceux qui vont plus loin encore, les masqués, les professionnels des musiques qui vont tellement loin qu’elles nous paraissent bien proches. Esprit, es-tu là ? Et oui. Et évidemment, sur Oh Death, il danse.
The Mauskovic Dance Band, Bukaroo Bank
Enregistré en 2020 (= confinement = torture mentale = beaucoup d’angoisse pour tout le monde), le nouvel album de The Mauskovic Dance Band porte irrémédiablement les traces de la période durant laquelle il a été construit. Bukaroo Bank, le second album du groupe néerlandais (ses quatre membres permanents ont tous grandis dans la ville d’Amsterdam et ses environs), est un disque qui va de l’ombre à la lumière, du pas de danse ombrageux à celui, plus claire, annonciateur de jours meilleurs à venir. L’album de l’entre-deux pour un groupe qui mélange l’afrobeat, le free-jazz, le dub, le post-punk, le funk tropical, les longues plages instrumentales progressives qui font danser… sur la pointe des pieds. Avec l’esprit mentionné ci-dessus ou sans lui, comme vous préférez.
Pip Millett, When Everything Is Better, I’ll Let You Know
L’évocation de 2020 vous a un brin plombé le moral et vous a fait basculer dans un temps que vous n’avez pas forcément envie de revivre ? Posez tout de même une oreille sur When Everything Is Better, I’ll Let You Know (« Quand tout ira mieux, je vous le ferai savoir »), le premier album de Pip Millett, petit phénomène soul / jazz / R&B outre-Manche et proche Scotland (elle vit à Manchester). La jeune chanteuse a sans doute beaucoup écouté Erykah Badu, Lauryn Hill ou Jorja Smith, parle développement personnel, anxiété et dépression du haut de ses 24 piges, et conforte une idée : on peut être vieux et raconter n’importe quoi et ne pas avoir dépassé le quart de siècle et être capable de faire fondre des icebergs (le Titanic est parti de Liverpool après tout, pas bien loin de Manchester). À écouter pour fondre : le morceau « Downright ». À écouter pour groover : le morceau « Slow ».
Bibio, BIB10
Difficile à suivre, Bibio. Tant mieux ? Car il est Facile, et surtout très agréable, de s’égarer à ses côtés dans les chemins de traverse, changeants à chaque fois, qui parcourent la discographie polymorphe de ce multi-instrumentiste, producteur et chanteur anglais qu’on a vu voguer entre l’électronique, le field recordings, l’ambient, le folk, la pop, l’indie, le funk, la soul. Quelle carte joue-t-il cette fois-ci, sur BIB10 ? Celle d’une funk plutôt soleil (couchant), qui copine avec la bossa nova (« Cinnamon Cinematic », quel kiffe), avec la new-wave (« Even More Excuses »), avec la disco à la Chic (« S.O.L. »), avec la house gentille (« Sharratt »), avec des arrangements que n’aurait pas reniés le regretté Prince (« Lost Somewhere » ou « Potion »). « J’aime qu’il y ait du contraste entre mes différents albums. Quand je termine un album, j’ai très envie de faire quelque chose de différent pour le suivant », dit Stephen James Wilkinson (Bibio), que l’on croit sur parole.
Montparnasse Musique, Archeology
Un soir, le métro parisien. Station Montparnasse — Bienvenüe. Rame pleine, regards bienveillants (ça change). Deux silhouettes se croisent, se percutent, dialoguent, échangent. L’un, producteur franco-algérien, a trituré les platines avec Gnawa Diffusion ou Les Amazones d’Afrique. L’autre a fait de l’afro-house son compagnon de bringue, une musique jouée dans les clubs de Johannesburg, de Berlin, d’ailleurs. Le courant passe bien. T’aurais pas une clope ? On n’a pas le droit de fumer dans le métro. Ah ouais. On se capte, à l’occasion ? À Kinshasa, par exemple ? Quelques semaines plus tard naît le projet Montparnasse Musique, qui voit donc se rencontrer les talents de Nadjib Ben Bella, d’Aero Manyelo et d’un panel de collaborateurs, dont certains immensément prestigieux (des membres de Konono N°1, Mbongwana Star, Kasaï Allstars…). Panafricanisme, nouvel épisode : arrangements électroniques, percussions affolées, rythmiques désinhibées, transe. Bienvenüe dans Archeology, le premier album de Montparnasse Musique.
Batida, Neon Colonialismo
Anti-capitaliste et alter-mondialiste depuis toujours — nos auditrices et auditeurs marseillais se souviennent peut-être de son live, impressionnant, au Moulin de Marseille en 2016 dans le cadre de nos Nuits Zébrées — l’Angolais Batida (mais résident lisboète) formalise cette opposition au système qui oppresse, qui saccage et qui ment sur un nouvel album. Neon Colonialismo est le nouvel album d’un DJ, producteur et musicien au sommet de sa forme et qui invite, avec lui, un casting lusophile 5 étoiles : DJ Satelite, Bonga, Mayra Andrade, Poté, Nástio Mosquito, Ikonoklasta, Octa Push, DJ Dolores, Lia de Itamaracá, João Morgado, Mário Lúcio, Botto Trindade, Pedro da Linha et Branko. Les révolutions, paraît-il, se font à plusieurs. Celle-ci passera par l’afro-disco, par le kazucuta, par la semba, par le dancefloor sous cachet électronique ou l’acoustique sans artifice. Diggers de tous les pays, unissez-vous.
Guts, Estrellas
Enfin, un album hommage. Celui que propose le producteur Guts (ancien d’Alliance Ethnik, vu partout et surtout du côté des musiques hip-hop, latines, afro, caribéennes), qui amène cette fois sa musique à Dakar, la capitale sénégalaise devenue le point de convergence d’une rencontre entre musiques latines et musiques d’Afrique de l’Ouest (tendance Orchestra Baobab, vous connaissez). Relectures de morceaux fabriqués par d’autres, compositions originales… et, avec Estrellas (les « étoiles » en espagnol) un voyage entre Cuba, France et Sénégal, avec le souvenir douloureux des routes triangulaires de l’esclavage dans un coin de la tête. Invités de cette map-monde mouvante : Cyril Atef, Pat Kalla, José Padilla et des musiciens venus des trois coins du globe. Les atrocités des mondes d’hier ont créé, depuis quelques décennies, un grand et génial métissage culturel et musical. Les roues, parfois, tournent dans le bon sens. Et les étoiles s’alignent.