On cause adolescence et évanescence avec “Ham on Rye” de Tyler Taormina.
Dans le cinéma américain, on ne parle pas de films sur l’adolescence, mais de coming-of-age stories. C’est relativement intraduisible, mais pourtant très juste pour définir cette période-là, à la jonction entre deux âges, à la fois une sortie définitive de l’enfance et une en construction vers la conscience adulte.
L’entre-deux, c’est justement ce qui pourrait définir aussi Ham on Rye. Et encore qu’il faudrait élargir les choses, quand le film de Tyler Taormina multiplie les pistes et les humeurs. Ce qui n’est en fait pas plus mal pour tenter d’incarner la multiplicité de l’adolescence. Tout en s’attachant à essayer d’incarner une de ses données essentielles : cette drôle de sensation entre suspension du temps et ennui consenti qu’est la contemplation.
Et même là, Ham on Rye se dédouble en organisant la journée si particulière pour la jeunesse américaine qu’est le bal de fin d’année scolaire. La déambulation de plusieurs groupes de filles et de garçons se fait à la fois rêveuse et studieuse, s’imprégnant autant qu’il observe avec précision les rites de passage ou les tics de langage générationnels.
Taormina ne chôme pas pour autant quand il organise une sorte de synthèse de tout le cinéma américain sur l’adolescence depuis les années 80, ressuscitant ici le bucolique banlieusard du Outsiders de Francis Ford Coppola tout en tamisant la même lumière ethérée du Virgin Suicides de sa fille. Sans oublier de convoquer à sa boum la précision sociale d’un John Hughes (Breakfast club, La folle journée de Ferris Bueller…) ou d’un Richard Linklater (Slackers, Génération rebelle…).
Le tout dans une part brumeuse parfois anxiogène proche d’un David Lynch qui remettrait les pieds à la fois dans Blue Velvet et Twin Peaks. Ça fait du monde, mais après tout quoi de plus normal si l’on considère que l’adolescence, c’est aussi le moment où l’on vit en bande. Taormina ne se laissant pas dominer par ses influences, Ham on rye trouve sa propre identité dans l’espèce d’apesanteur qui s’en dégage, le film étant définitivement conscient de la volatilité de l’âge qu’il explore. Il se consacre du coup à son expérience en essayant de traduire physiquement l’écoulement du temps, de moments uniques et furtifs que sont les premières fois, mais que le souvenir ne rendra jamais éphémère.
Ham on rye confirme à quel point ils sont précieux, y compris lorsqu’un des ados au sortir de cette journée singulière demandera à la cantonnade si tout ça n’était pas qu’un rêve, si tout le monde n’était pas en fait endormi. Aucun des autres protagonistes ne lui répondra, trop attaché comme le film à faire subsister encore un peu une certaine magie, rester encore un peu dans le cérémonial cotonneux d’une adolescence collective, qui a ici des airs d’entre-monde envoûtant. Ham on Rye en fait une bulle, fragile, gracieuse, mais qui n’ignore jamais qu’elle finira par éclater.