Musique sans instrument, ni musicien…
Le philosophe berlinois Harry Lehmann s’est lancé dans la compilation de tous les procédés, chercheurs, éditeurs, labels, concerts et notations musicales à partir de l’échantillonnage.
Son livre commence bien, en définissant les difficultés d’être compositeur ou même chef d’orchestre, puisqu’il faut étudier, puis avoir un maître, puis un lieu, trouver des musiciens, puis des capitaux, et aussi l’approbation de directeurs, de critiques, d’administrations, bref, l’approbation de véritables institutions complexes, avant d’avoir la moindre chance de diriger quoi que ce soit.
La solution serait donc de « sampler », d’échantillonner les instruments, puis de faire appel à ces programmes (et algorithmes ?) pour réunir des orchestres virtuels, avec en prime une diffusion sur internet.
Le meilleur des mondes, sans tambour ni trompette ?
Le problème, c’est que pour échantillonner le moindre instrument, il faut parfois des dizaines de milliers de petits « bouts » de sons, frottements, vibratos, en plus des notes et des liaisons (même si nos oreilles ont en fait une perception limitée, ce qui simplifierait la quantité).
La voix serait « inéchantillonable », vu sa complexité, et un hautbois demanderait 80 000 échantillons, soit des mois de travail de collection. Pour éviter les institutions, on tomberait dans un travail de fourmi !
Mais rien n’arrête les savants fous, et les chercheurs n’on jamais reculé devant les milliers d’essais, parfois absurdes pour « essayer » une possibilité, même mégalomaniaque.
Dans cet essai , vous apprendrez aussi l’histoire de la « notation » musicale, inventer des barres, des hauteurs de notes et autres soupirs, des octaves, tierces, quartes… On a essayé de trouver mieux que la notation du moine Guido D’Arezzo, commandée par un pape vers l’an 1000, mais finalement la partition a gardé cette base.
En tout cas, l’ouvrage d’Harry Lehmann, indique qu’après quelques « concrets » français et « minimalistes » américains, les grands savants et fous de musique restent les Allemands, depuis Bach, Mozart, Wagner, Beethoven.. Stockhausen, puis Can, Kraftwerk ou Popol Vuh (j’entends déjà les cris de protestation…)
Et comme les « conceptuels » de l’art qui voulaient tuer la peinture, puis oublier le chevalet, puis la main, et même l’œil du peintre, nos fous de musique martèlent la destruction des orchestres, puis des concerts, et enfin des institutions musicales, afin de « libérer » individus et création.
Je suis toujours étonné de cette guerre des anciens et modernes, de ce radicalisme tueur et fossoyeur, en partie fantasmatique, et qui se termine toujours en aménagements entre l’indestructible passé et savoir, et les innovations incomplètes et orphelines.
Comme le dit l’auteur : photo et vidéo n’ont pas réussi à tuer la peinture !
Mais bon, il n’y a pas de mal à chercher, réfléchir, et même échouer (nombre de compositeurs « digitaux » n’ont réussi qu’à produire des sortes de « Muzak » sous-classique ou de la daube électronique !) Cette lecture rend modeste et humble devant la tâche à accomplir.
En tout cas, si vous êtes en quête de « postmodernisme musical », de « concepts nouveaux » ou simplement d’idées pour éviter de tomber dans la répétition involontaire de la musique d’avant (qui a tendance à se figer et à s’amoindrir), alors ces idées et ces informations vous assoupliront l’esprit.
La révolution digitale dans la musique, par Harry Lehmann. Éditions Allia. 224 pages. 15 euros (ce gros livre de 224 pages contient bien d’autres historiques, exemples, labels, projections, chercheurs et considérations économiques…)
Visuel : (c) Éditions Allia