Andy Wahloo, comme l’aurait surnommé Rachid Taha.
« Cette rétrospective est un voyage à l’intérieur de ma vie. Immigré du Maroc à Londres, réussir à m’insérer dans la culture londonienne, la mode, la musique, les fêtes… J’aimais la photographie et c’est comme ça que tout a commencé, c’est l’équivalent de 30 années de travail. »
Ainsi se réjouissait Hassan Hajjaj sur le plateau de France 24 le 9 septembre dernier. Trente de ses années de travail sont donc exposées à la Maison européenne de la photographie à partir du 11 septembre 2019 et jusqu’au 17 novembre. C’est la première rétrospective française sur son œuvre. L’œuvre « panoramique », comme l’appelle l’institution, de cet artiste de 58 ans dont la foisonnante carrière s’étend sur des décennies.
Celui que l’on appelle souvent « le maître du Pop Art marocain » pour ses photos kitsch aux couleurs vibrantes, exerce son talent dans bien d’autres domaines comme la mode et la décoration, et ce depuis ses débuts dans les années 70.
Né en 1961 à Larache au Maroc, immigré à Londres à l’adolescence, Hassan Hajjaj n’a pas entamé sa carrière d’artiste en tant que photographe. C’est par la rue qu’il est entré dans l’art. Le street art, le tag et plus largement la culture hip-hop ont été ses premières passions. C’est l’art qui lui permet de lier ses deux mondes, celui de son enfance au Maroc et de son Angleterre adoptive.
Marocain dans l’âme, londonien dans le coeur
Anglais, Hassan Hajjaj ne se revendique pas. Mais il s’affirme volontiers comme londonien, membre de cette nébuleuse cosmopolite qu’est la capitale britannique, dans laquelle il a emménagé dans les années 70, en plein crise migratoire et économique, là où il n’était pas aisé d’être un adolescent immigré, encore moins arabe. Chômage de masse, inégalités et discriminations faisaient partie du quotidien de sa famille.
C’est à Londres qu’il comprend que pour la plupart des Européens, le Maroc n’évoque pas beaucoup plus que les palmiers, le thé, et les chameaux. Un orientalisme qui le blesse d’abord, puis dont il apprend à rire, et surtout à s’inspirer. C’est Londres, dit-il, qui lui a appris à contourner les clichés, voire à les englober, à les intégrer dans son art pour mieux les faire mentir. Dans les rues du quartier populaire devenu branché de Shoreditch, une immense fresque signée de son nom trône, celle d’une femme voilée d’un foulard Louis Vuitton.
Car le détournement de marques est sa spécialité. C’est pour lui une réflexion sur la société de consommation, la mondialisation et le post-colonialisme. Et puis la mode est l’un de ses amours de jeunesse. Dans les années 80, c’est avec sa marque RAP « Real Artistic People », qu’il commence à se faire un nom. RAP, c’était une marque utilisant les codes de la culture hip-hop à l’heure où le luxe n’en voulait pas. On imagine Hassan Hajjaj rire devant les bobs et les bananes qui jonchent aujourd’hui les catwalks des fashion weeks.
Entre les clubs clandestins et les fripes réinventées, Hassan Hajjaj se fait un nom dans l’underground anglais. Puis la boutique RAP, devenue label musical, ferme dans les années 90 faute d’argent. Entre-temps, Hassan s’est mis à la photographie, et décide de rentrer au Maroc, destination Marrakech. Là-bas, il retape un grand Riyad qui deviendra son atelier et aussi un gîte extrêmement prisé. Aujourd’hui des stars internationales comme Madonna ou la rappeuse Cardi B viennent s’y faire tirer le portrait à la mode berbère. C’est en fourrure rose sur fond de losanges verts encadrée de bouteilles en plastique devant l’objectif d’Hassan Hajjaj que Cardi B a fait la une de New York Magazine en 2017.
Bouteilles de plastique, cannettes, boîtes de conserve font aussi partie de la déclaration du Riyad Yima, qui signifie « maman » en arabe, là où Hassan, en bon touche-à-tout, crée aussi lustres, canapés et cadres avec ces objets recyclés. Ce détournement d’objets commerciaux, ses couleurs vibrantes et son amour pour les boîtes de conserve, lui valent souvent une comparaison maladroite avec Andy Warhol. Comme on aime beaucoup de le faire en France, on dit souvent de lui qu’il est le « Andy Warhol marocain ». Hassan se détache autant que possible de cette appellation, rappelant l’aspect colonialiste de ce réflexe qui consiste à légitimer le talent des artistes en faisant d’eux des déclinaisons de figures occidentales et souvent mortes.
Hassan Hajjaj est Hassan Hajjaj, artiste à part, aux multiples talents, qui par sa complexité montre aussi celle de son pays, pour une identité artistique marocaine diverse et revendicatrice.
Un portrait signé Clémentine Spiler, diffusé dimanche 15 septembre dans Néo Géo. Néo Géo c’est tous les dimanches sur Nova avec Bintou Simporé et en podcast sur nova.fr.
Visuels © Hassan Hajjaj