La chronique de Jean Rouzaud.
Je n’en reviens pas du succès renouvelé de Henry David Thoreau, cet Américain du XIXe siècle, précurseur d’une écologie émerveillée, digne représentant d’un mouvement transcendantaliste, rêvant de changer le monde, de bannir argent et exploitation…
Le moindre site sur Henry David Thoreau (1817-1862) sur internet, compte des dizaines de pages, de détails, citations, théories, plus que sur les philosophes les plus célèbres…
Puritanisme, chasteté et sobriété
Dans une époque d’égoïsme, d’égocentrisme et de consommation irresponsable, quelle ironie de voir porté aux nues un homme puritain, issu des méthodistes les plus durs, prônant chasteté, sobriété et – déjà -frugalité heureuse. Ceci explique peut-être cela.
Sans cesse cité, réédité, étudié et respecté comme un futurologue éclairé, un sage auquel se référer – car il cite lui-même Confucius, la philosophie chinoise, hindoue et même celle des Indiens d’Amérique, qu’il considère comme des modèles – Henry David Thoreau est un étrange bonhomme qui a fait école sur les vertus de la marche, de la vie en forêt, du dénuement, et sur une observation de la nature.
Deux ans en cabane
Dans ce livre de 1854, il raconte par le menu sa vie au bord de l’étang de Walden, dans le Massachusetts, dans une cabane prêtée par son ami et mécène Ralph Waldo Emerson (philosophe, leader des penseurs transcendantalistes), où il passa deux années.
Mais c’est en fait un pamphlet antisocial que nous sert Thoreau, changeant d’angle et même de sujet, il décrit comme un naturaliste la moindre fleur, mais il digresse souvent sur la nullité de la société, l’aspect sinistre du travail, du commerce, de l’avidité qui nous rend esclaves… Il cherche sans cesse une éthique valable.
Et c’est là, au milieu des Puritains de son village voisin de Concord, qu’il prend le recul absolu de l’ermite, du philosophe, mais aussi du trappeur, cueilleur, pêcheur. Partant de la base de la survie en milieu naturel, il tente d’améliorer la vie et de lui redonner un sens ! Son ambition, inventeur du « Nature Writing », est aussi teintée de fantaisie, d’à- peu- près, de conseils inapplicables et de magie des lieux : ils prétendent que Walden est un étang unique, clair, limpide, bleu, sans fond, aux poissons arc-en-ciel…
Posséder, c’est travailler sans cesse
Sa finesse d’observation, son imagination, son sens pratique, doublé d’une critique aiguë et perspicace, arrive à nous faire entrevoir une pensée, une introspection salutaire pour nous aider à « être », et pas seulement à « faire » et à bricoler pour survivre.
Thoreau donne aux choses un sens plus large, et sa méfiance vis-à-vis du monde, même agricole, qu’il juge dépassé, nous prouve que posséder, c’est travailler sans cesse, et vouloir plus, c’est aliéner sa liberté pour rien !
On pense à Herman Melville, autre transcendantaliste inspiré, qui dans Moby Dick nous parle de tout, et surtout de ce qu’on ne voit pas, même à bord d’un bateau qui traque une baleine blanche…Comme un observatoire du monde où on a le temps de penser.
Walden ou la Vie dans les Bois pour Thoreau est une expérience philosophique, pratique, mystique, mystérieuse, scientifique, sociale, philosophique… Ce texte cherche la dignité par la responsabilité, l’économie et l’ascèse !
Ennemi du commerce et de l’argent
Voilà sans doute pourquoi il résonne encore aujourd’hui si fort, par son style, sa sensibilité lucide et AUSSI par son délire (car Thoreau était près de sa famille et de ses amis de Concord, de beaucoup de visiteurs, lui-même aidé et mécéné, n’avait rien d’un ermite tibétain !)
Même s’il n’a pu appliquer ses principes, l’esprit puritain de Thoreau, rêvant d’un monde idéal, ennemi du commerce et de l’argent, ce paradis utopique est encore présent aujourd’hui dans la mentalité de fond des Américains, cet esprit pionnier, marqué par la Bible, résonne encore et donne à ce texte une sorte d’actualité fantôme.
Walden ou la Vie dans les bois de Henry David Thoreau aux éditions Le Mot et Le Reste. 364 Pages. 14 euros. Préface de Jim Harrison (romancier de Nature writing et scénariste américain, récemment disparu).
Suite ? Gary Snyder est un militant anarchiste et anthropologiste issu du mouvement Beatnick, qui a suivi les enseignements de Thoreau, voyagé dans le monde, vécu dans la nature et beaucoup écrit… Renseignez-vous sur ce disciple écologiste sur-actif).
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