En 1978, pour inaugurer sa collection des Vies parallèles (ainsi nommée d’après Plutarque), des exemples personnels de « nouvelles formes de résistances au pouvoir », Michel Foucault avait choisi de présenter le cas d’Herculine Barbin dite Alexina B. Inspirée par la lecture de ce journal retrouvé, par les modulations de l’air du temps, Catherine Marnas en fait aujourd’hui de même, sur les planches cette fois, afin d’élaborer « l’archéologie d’une révolution », celle du rapport au genre.
On ne naît pas homme, on le devient. Renversement de la fameuse phrase de Beauvoir, qui résume en trop peu de mots l’étrange destin d’Herculine Barbin, devenu.e Abel. Assigné.e femme à la naissance, réassigné.e homme bien des années plus tard, mais ni vraiment l’un, ni tout à fait l’autre. Intergenre, pseudo-hermaphrodite, genderfluid. Aujourd’hui encore, hélas, la chose effarouche, effraie, défraie la chronique ; il suffit de constater les levées de boucliers autour du pronom « iel ». Imaginez donc la gageure, au beau milieu du XIXe siècle.
Pour en avoir un aperçu, son témoignage, précieux. Il nous permettait de suivre, au plus près, à la première personne, les tribulations d’Herculine/Abel, ses péripéties tourneboulantes, subversives à son corps défendant car chargées de nébuleuses et d’excès, comparées au net cloisonnement admis par la société Second Empire, aux catégories biopolitiques dans toutes leurs ramifications – intimes, médicales, judiciaires. Incompréhensions, désarroi douloureux, exclusions, pertes de tous repères ; une mise au ban de la norme, du « bon sexe », de la société, de toutes ses socialisations aussi, puisqu’avant que ne soit jeté aux yeux de tou.te.s son trouble dans le genre, Herculine était institutrice dans un gynécée. A même pas 30 ans, iel se suicidera dans une mansarde parisienne, au gaz d’éclairage.
Après une longue et minutieuse adaptation, produit de ses échanges avec des artistes brouillant la binarité des genres (tel.le.s la performeuse Vanasay Khamphommala, le penseur post-foucaldien Paul B. Preciado ou l’acteur Vincent Dissez), Catherine Marnas et son acolyte Procuste Oblomov remettent dans la lumière cette tragique figure queer. Le tout le temps d’une heure, d’une pièce qui – comme elle l’a fait depuis les premières présentations, en janvier dernier – déploiera et détaillera avec précision et poésie, tressée de mélancolie et de colère, les perspectives historiques, politiques, philosophiques, les implications intimes, de ce thème, celui du genre, des genres.
Un thème plus contemporain que jamais, servi par l’interprétation, dans le rôle d’Herculine/Abel, de l’artiste transgenre Yuming Hey (répondant à son alter ego marmoréen Nicolas Martel), incarnation altière, élégiaque, hypersensible de cet « éloge de la métamorphose comme remède à la désintégration d’un système saturé pour qu’advienne une autre forme d’organisation plus ‘‘aimable’’ », portant, en filigrane, cette question : « a-t-on besoin d’un vrai sexe ? ».
Une création originale du TNBA à laquelle Nova Bordeaux vous offre des places. Hop, prenez votre mot de passe Nova Aime et ensuite, ça se passe – devinez quoi ? – juste là, ici et maintenant.