L’imagerie du fürher, de la propagande à la culture populaire en passant par le tabou
Depuis quelque temps, un mot tabou ne semble plus faire peur. Nazi. Télérama parle même de « la nouvelle insulte à la mode à l’Assemblée nationale ».
Amalgames, sophismes, les raccourcis nazis et fascistes fleurissent jusque dans les hautes sphères de la société. Les sempiternelles blagues de Berlusconi ou la réalisatrice de La Rafle déclarant que ceux qui n’ont pas aimé son film « rejoignent Hitler en pensée », des sorties qui auraient provoqué tollés et procès il y a encore quelques années n’émeuvent aujourd’hui plus personne. Des écarts qui nourrissent les rubriques insolites et jouissent souvent d’un bon effet viral.
La loi de Godwin, selon laquelle plus une discussion en ligne dure longtemps plus la probabilité d’y trouver des comparaisons impliquant Hitler ou nazis est grande, est réellement popularisée par l’avènement d’Internet. Le point Godwin, souvent atteint.
Une réhabilitation massive, syndrome générationnel. Alors que les témoins des horreurs nazies sont de moins en moins nombreux, cette période sombre passe de la mémoire à l’histoire, comme un titre des Beatles tomberait dans le domaine public.
Cela se traduit inévitablement par la dédiabolisation d’Adolf Hitler. Le Führer, élu « l’homme le plus détesté de l’Histoire Moderne » par le magazine Rolling Stone, est devenu en l’espace de quelques années une icône 2.0, une mème internet comme seule la toile sait en fabriquer.
Il y a trois étapes majeures dans l’iconographie hitlérienne. L’image endoctrinée de la propagande nazie durant son règne, la figure taboue et interdite dans la seconde moitié du XXème, et le personnage détourné, parodié que l’on rencontre aujourd’hui.
Certes, de son vivant, le monstre a été parodié, caricaturé ; le lot de tout ennemi en temps de guerre. Ainsi Le Dictateur de Chaplin. Aux Etats-Unis, de nombreux comics ont aussi personnalisé le mal avec le personnage Hitler durant la seconde guerre mondiale. De Captain America à Daredevil, ils bottent tous les fesses du dictateur allemand.
Le froid jeté par la découverte de la Shoah a banni la représentation du Führer. Durant quelques décennies, pas question de parodier, d’humaniser, de rire d’Adolf Hitler. Comme pour toutes les figures interdites, sa représentation devient l’apanage des artistes séditieux underground. Il y a les mouvements punk ou new wave s’acoquinant avec l’esthétique nazie ou Gainsbourg chantant le Nazi Rock sur un album consacré au nazisme. Il y a aussi les peintures d’agitateurs comme Dali, fasciné par Hitler, qui peint Hitler Masturbating en 1974, mais aussi les films de série Z au public très limité. Un sous-genre du film d’exploitation (a.k.a. nanars) a d’ailleurs été baptisé la « nazixploitation » pour parler de ces films tape-à-l’œil mettant en scène Hitler et ses sbires, comme Ilsa, la louve des SS. Un genre récemment popularisé par Inglorious Basterds de Tarantino (ci-dessous). Dès qu’une caméra de nanar montre l’Enfer, Adolf Hitler est souvent là en train de prendre le thé avec le diable.
Avec le temps, comme pour un travail de deuil, l’envie de raconter l’histoire, de raconter Hitler, prend le pas sur le silence et le sacro-saint tabou. Les films Max, sur la tentative artistique de Hitler, La Naissance du mal, un téléfilm censuré par TF1 lors de sa diffusion ou laChute, avec la mémorable interprétation de Bruno Ganz ont cherché à coller au mieux à la vérité historique, jusqu’à créer la polémique en montrant le visage humain du dictateur.
Le travail historique effectué, la lumière faite sur la tragédie, cette période de l’histoire peut alors tomber dans les mains de la culture populaire. Tout ce que la télé fait de séries animées marrantes s’approprie le personnage à la petite moustache. South Park, lesSimpsons, Futurama, Hey Arnold ! ou encore Dragon Ball Z, tous déforment à loisir le Fürher pour en faire un animal comique.
En musique, les codes nazis restent cantonnés aux genres hardcore, noisecore, et autres trucs heavy. Hitler est même utilisé dans un tour de force vidéo de Chris Cunningham sur un gros son de Vitalic pour montrer le pouvoir aliénant de l’imagerie hitlerienne.
La littérature, elle, se permet de fantasmer sur le nazisme avec l’explosion des uchronies réécrivant l’histoire. Fluctuat en présente unebelle sélection. Parmi les têtes d’affiche : La Part de l’autre d’Eric-Emmanuel Schmitt ou Le Complot contre l’Amérique de Philip Roth. Tous les fantasmes sont bons à publier. Les enfants d’Hitler, les sex tape d’Hitler dans son bunker et même Hitler juif. Uchronies que l’on trouve aussi sur grand écran, comme les nazis sur la lune.
D’autres domaines plus inattendus usent de l’iconograpghie nazie. Les jeux vidéo (on peut se créer un avatar Hitler pour jouer à Mario Kart sur la Wii), le théâtre mais surtout la pub. La publicité et sa recherche d’impact, de buzz, tire parti de l’image de Hitler à outrance.
En société, les histoires de costumes nazis font leur apparition dans les rubriques insolites, et certains fashionistas tentent même deréhabiliter la terrifiante moustache toothbrush, jusqu’ici limitée à une blague solitaire en séance rasage matinale. Quant au prénom Adolphe, à part pour quelques illuminés, il ne semble pas être prévu à l’État civil bientôt.
Enfin, c’est surtout Internet qui a fait d’Adolf Hitler une icône et fini de le dédiaboliser. Ce qu’on appelle une mème Internet. La toile et son immense capacité à détourner, parodier, ne s’est pas gênée. La scène finale du film La Chute est imitée outre mesure. Tour à tour Hitler fait la météo, cherche une place de parking… Sur Internet, on peut tomber sur Hitler Hipster, une bande dessinée virtuelle, ou quand Adolf devient un jeune dandy branché. Les concours de « kitlers », les chats qui ressemblent le plus à Hitler, sont aussi un bon succès du web. Ou encore Hitler réincarné en shampoing, la poupée de Hitler, et autres objets salement dérivés.
Certes on peut rire de tout, et la moquerie est souvent la bonne arme contre le mal mais le problème c’est qu’à trop le prendre à la légère, Hitler pourrait bien séduire à nouveau. Tous ces détournements reprennent le flambeau de la propagande malgré eux et dans les milliards de commentaires incontrôlables, les allusions nazies soit-disant insignifiantes sont toujours plus nombreuses. Dans certains pays, la jeunesse ne cache pas son intérêt pour le dictateur. Boolywood est même en passe de tourner sa romance avec Eva Braun.
Ça fait fürher et ça fait peur.