La chronique de Jean Rouzaud.
L’après-guerre et les années 50 américaines ont donné lieu à une « renaissance » des populations noires, dans un mouvement culturel englobant littérature, poésie, musique, journalisme, photo, peinture, danse et une nouvelle spiritualité, en partie afro-centriste.
Dans ce tourbillon de création, les intellectuels noirs tentaient de sortir du rôle imposé d’amuseurs, d’orchestres de bal, de danseurs, chanteurs et acteurs au service du public blanc.
Un black power naquit, militant, mais aussi artistique avec une armée de gens doués pour la musique
Au nom de cette grande évolution, appelée « prise de conscience » – la fameuse « black consciousness », un black power naquit, militant, mais aussi artistique avec une armée de gens doués pour la musique, des quantités de virtuoses…
Ce fut le cas à Los Angeles dans la communauté noire de Watts, connue pour ces émeutes des années 70, mais dont l’évolution remontait bien plus haut… couche après couche, génération après génération.
La musique était le point fort de ces créateurs, la scène où ils régnaient mélangeant Jazz, Bop, Free Speech, improvisations ou « bœufs », solos et grands orchestres… Avant l’avènement de la Pop et du Rock.
Horace Tapscott, batteur, trombone, pianiste puis chef d’orchestre, compositeur et leader, réussit à s’appuyer sur des centres, sociaux, des maisons de la culture et même des foyers religieux pour guider et faire jouer les jeunes musiciens doués de Watts.
Lui-même ouvert à toutes les tendances, coexistant dans les locaux avec les Black Panthers (Angela Davis et Stokely Carmichael à l’étage du dessus), il dirigea des séquences notables de cette fin des années 60, puis 70, qui furent enregistrées et enfin mises sur disque.
Prise de conscience & Underground Jazz
Le double CD que ressort Soul Jazz Records est un exemple de ces sessions où se joue ce qu’on appelait « Underground Jazz », à la faveur de toutes les tendances de ce qui se passait, de longues plages musicales nous replongent dans des sons coulés, apaisants, des genres symphoniques, musiques de films, avec des pointes de Free…
Deux CD, huit longs morceaux (de dix à vingt minutes) qui explorent du Jazz abstrait, afro-centriste, radical, cool, space, où les percussions et les voix (rares) sont des instruments imbriqués dans l’orchestre…
Cette démarche ouverte, large, dont le principe était de redonner aux musiciens une bonne image (en finir avec la musique du diable, avec drogues alcools et prostituées : LA réputation de l’époque !), et de réunir « people » et « artists », alors ghettoïsés.
Pendant plus de deux décennies, Horace Tapscott réussit à avoir locaux et aide à la population locale avec ces répétitions, ces cours, free speech et concerts de charité, collecte de nourriture etc.
Le « Pan Afrikan Peoples Arkestra » était né, creuset de talents et d’influences qui allait mener jusqu’au Rap, à travers les Watts Prophets.
Voici donc une sorte de récital des capacités orchestrales de cette époque en pleine mutation, avec Tapscott au piano (avant-garde de Los Angeles, ce qui était nouveau) sous la direction d’un homme devenu une légende pour tous ceux qu’il a guidé…
Visuel en Une © site officiel de Horace Tapscott