Un web-documentaire explore enfin la communauté gothique
Les gothiques ? Ces ados dépressifs aux cheveux longs qui se scarifient dans les cimetières ? Ces satanistes qui sacrifient des chats à l’autel de Satan ? Ces fans de Marilyn Manson et d’Amélie Nothomb ?
Il faut le reconnaître : à part une somme de clichés, on n’y connaît pas grand chose. Brice Lambert, Guillaume Clerc et Avril Ladauge n’étaient pas non plus des experts, plutôt des curieux. Curieux d’un mouvement visible mais assez secret, qui nourrit la culture populaire mais sur lequel très peu ont écrit, dont on entend peu parler.
Intrigués, les trois étudiants strasbourgeois décident un beau jour de 2010 d’explorer le sujet et de réaliser leur propre documentaire sur la culture gothique. Ils bossent leur projet et décident de le faire financer sur KissKissBankBank. Dix mille euros recueillis et des mois de travail plus tard, le résultat est là : I Goth My World est en ligne sur le site d’Arte et sur celui du Monde depuis maintenant deux semaines.
Il s’agit en fait d’un web-doc, c’est-à-dire d’un documentaire augmenté grâce aux outils spécifiques offerts par l’Internet : interactivité et multimédia. L’internaute navigue ainsi à sa guise dans l’information qui lui est proposée et peut participer à la création du contenu.
I Goth My World a pour ambition de proposer un large panorama du mouvement gothique en rassemblant vidéos, articles, photos, infographies. La navigation est totalement libre : pas de fil directeur mais un patchwork de contenus, organisé en six rubriques parmi lesquelles « Apparence », « Philosophie », « Musique ».
On peut également choisir de découvrir le mouvement à travers trois portraits de gothiques, représentant chacun un mouvement et une génération. Le Boucanier, 48 ans, est un vieux de la vieille, un gothique batcave qui vit dans un véritable cabinet de curiosités. Katmi, 34 ans, plutôt baroque et victorienne, se rend souvent en Allemagne, où la communauté gothique est bien plus prégnante qu’en France.
Enfin, Chancy, 17 ans, parisien, représente le mouvement des Cybergoths, tout dernier rejeton du gothisme. Plutôt portés vers la musique électronique, on les reconnaît aux dreadlocks de plastique qu’ils accrochent dans leurs cheveux, à leurs couleurs fluo et à leur danse particulière.
Participatif, le webdoc permet également aux visiteurs de compléter la carte européenne des lieux goths, de participer à un concours de look ou encore de donner leur avis sur le potentiel gothique de telle ou telle figure historique.
Une cybergoth
Mais I Goth My World n’est pas seulement un web-doc, c’est également un documentaire pour la télé qui sera diffusé sur ARTE le samedi 3 novembre dans le cadre de la Nuit Gothique.
Si la version TV reprend quelques uns des personnages et interviews présents dans le webdoc, elle se révèle un document complémentaire et apporte un contenu majoritairement nouveau.
Les réalisateurs posent en voix off la question suivante : pourquoi et comment une telle longévité du gothisme ?– toujours aussi vivace, le mouvement célèbre déjà ses 30 ans. Ils partent chercher la réponse entre Paris et Berlin, deux villes entre lesquelles le documentaire oscille en permanence.
Au gré des rencontres, des villes et des lieux, la tentative de comprendre le gothisme se perd un peu en route. Historique, philosophie, univers musical, lieux de socialisation, comparaison entre pays, différents courants, business, interrogation des liens à l’extrême droite, au satanisme, sociologie du gothisme : tout y passe. Sauf que 30 minutes, c’est un peu court : les sujets abordés sont survolés et les questions souvent posées dans le vide. Un peu brouillon, le documentaire dessine les contours flous d’un mouvement sans jamais creuser plus en détail, laissant un peu le spectateur sur sa faim.
Ce n’est pas si grave, car le web-doc reste une réussite : sa nature se prête très bien au côté patchwork, overview générale, ainsi qu’à la recherche d’informations complémentaires.
L’ensemble du projet a donc le mérite de mettre en lumière un mouvement trop méconnu et caricaturé, dont l’influence culturelle est très importante : des Cure à Tim Burton en passant par Twilight, le gothisme est une vraie source d’inspiration.
Et au final, en tant que novice, on en apprend pas mal.
Nous saurons désormais qu’il n’existe pas un mouvement gothique mais de multiples familles – Chancy et le Boucanier n’ont rien à voir l’un avec l’autre et ne se croiseront probablement jamais.
Nous pourrons expliquer qu’il ne s’agit pas d’une mode adolescente éphémère, mais d’un mouvement esthétique et culturel durable, qui perdure depuis déjà trente ans. Un mouvement radical resté confidentiel, ce qui est peut-être le secret de sa longévité – même si les goths old school déplorent aujourd’hui la perte d’âme du mouvement.
Nous aurons appris que le gothisme est à l’origine un mouvement musical, qui est loin de se résumer à Marilyn Manson, Slipknot et consorts. Cold wave, musique classique, métal, hard-rock, industriel, post-punk, électro : encore une fois, les familles sont multiples.
Petite révolte née du punk dans les années 80, le gothisme est donc aujourd’hui devenu une véritable subculture, un phénomène protéiforme, mondial, durable et influent. Si les courants sont foison, les gothismes restent unis par un point commun de taille : une esthétique qui s’imprègne de tout ce qui dérange – en premier lieu la mort, mais aussi les idées politiques extrêmes, le paganisme, l’androgynie, les sexualités non consensuelles. Une culture à la marge, en résistance, qui gagne à être mieux connue.
I Goth My World, web-doc disponible sur Arte.tv, diffusion du documentaire sur ARTE samedi 3 novembre à 01h00.