Née de l’union entre un sous-genre du rap du sud des États-Unis, des vidéos de cylindrées dans des virages serrés et des producteurs russes, voici une autre invention fabuleuse née de la corne d’abondance qu’est Internet.
Avant de vous parler de vidéos de drift et de producteurs venus de Mother Russia, il faut remonter à la source, dans une ville du sud des États-Unis appelée Memphis.
Placée à la frontière entre le Tennessee, l’Arkansas et le Mississippi, Memphis est connue chez les rockeurs comme la ville qui a vu grandir le king Elvis Presley (il y bâtira sa demeure qui a tout d’un palais, Graceland). Mais pour les rappeurs, c’est surtout le bastion du “Memphis rap”, un sous genre de hip-hop né dans les années 90, à l’époque où la côte ouest et la côte est américaine se disputaient le titre de “région la plus influente du rap”.
Résolument underground, minimaliste et caractérisé par des moyens de productions inférieurs à leurs concurrents de New York et de Californie, le Memphis rap se fait tout de même une place dans le paysage rap étasunien, notamment avec des collectifs d’artistes comme la Three 6 Mafia – cette place reste minime, la Three 6 Mafia ne rentrera que trois fois dans le Top 40 américain, et ce, malgré un Oscar en 2006 pour le titre “It’s Hard out there for a Pimp”.
Si le rap de Memphis a longtemps été boudé par le grand public, son héritage aux basses boostées – la Trap – a eu l’effet d’un rouleau compresseur dans les années 2010, omniprésent dans les charts, porté par des ambassadeurs mainstreams (Drake, Cardi B, Schoolboy Q) et undergrounds.
Ce n’est pas le seul descendant du Memphis Rap. Parmi eux, on trouve le Phonk (première pièce du puzzle Drift Phonk), un mélange de funk distordu, de rythmiques trap et de paroles presque estompées sous un monceau d’effets… Le terme “Phonk”, c’est le emcee fantôme de Miami SpaceGhostPurrp qui le popularise avec des titres comme “Bringing the Phonk” ou “Pheel Tha Phonk”.
Pour poursuivre notre descente le long de cet arbre généalogique musical, il nous faut l’aide de Ryan Celsius, propriétaire d’une chaîne YouTube spécialisée dans le Memphis rap, dont la richesse et l’opulence du contenu est franchement impressionnante. Celsius effectue une nouvelle séparation au sein même du Phonk. Selon lui, il y aurait le “rare phonk”, localisé en Floride et le “drift phonk”, basé en Russie – on y arrive.
Pour définir le drift phonk, il faut s’attacher à des caractéristiques sonores et visuelles. Côté son, le drift phonk est plus filtré – on ne comprend presque plus les paroles des samples utilisés et les basses sont poussées vers de nouveaux extrêmes, jusqu’au limite de ce que peut supporter une enceinte. Côté image, les clips et vidéos des producteurs tels que Kaito Shoma, Pharmacist ou LXST CXNTURY sont remplis de manœuvres automobiles dignes de Fast and Furious ou de Need For Speed. Voilà, c’est ça le Drift Phonk. Mais alors pourquoi ça marche autant en Russie ?
Pour commencer, tous les producteurs cités dans le paragraphe précédent sont russes. Et avec l’arrivée de nouveaux réseaux sociaux dans le pays (TikTok est apparu en 2019, Spotify est en Russie depuis l’été 2020), des productions cantonnées à Soundcloud ont pu toucher une nouvelle audience.
Dans les cercles russes, les vidéos et morceaux du genre cumulent des millions de vues. À ce jour, “Scary Garry”, un titre de Kaito Shoma qui sample un morceau de DJ Paul (producteur de la Three 6 Mafia), a été utilisé plus de 500 000 fois sur TikTok… sur YouTube et Spotify cela se compte en millions.
“Scary Garry” est arrivé jusqu’aux oreilles de DJ Paul par l’intermédiaire de Tyler Blatchley, fondateur du label Black 17 Media, qui a distribué une bonne partie de ses singles. Séduit, (et probablement opportuniste) DJ Paul, a conclu un accord commercial avec ces producteurs russes, et ils se partagent actuellement les droits de ses morceaux descendants du Memphis Rap.
Le DJ a même prévu de se rendre en Russie, pour aller en studio avec ceux qui ont popularisé sa musique loin de chez lui, un comble pour lui qui avait refusé de mettre les pieds en Russie dans les années 90, pour cause de climat trop extrême. (à l’époque, il ne connaissait de la Russie qu’Ivan Drago de Rocky IV).
Alors est-ce que l’on aura bientôt le droit à un album qui mélange trap, phonk avec une grosse cylindrée en couverture ? Les paris sont ouverts. Allez-y.
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