La chronique de Jean Rouzaud.
Les Inrockuptibles nous propose deux décennies dans l’œil du Cyclone British des années 60 et 70. C’est d’autant plus gonflé que la période est énorme. La cale du navire corsaire est pleine à ras bord…
Comment nos flibustiers s’en sont-ils sortis, compte tenu de la quantité de choix, de groupes, de genres, de nuances innombrables, pour définir la perfide Albion, si créative et capricieuse ?
Des Shadows aux Troggs, des Kinks à Donovan
D’abord les Shadows et leur ex-chanteur Cliff Richard ! Bien joué, puisque « Apache » fut un des premier grand tube instrumental, joué par un vrai groupe, avec trois guitares et une batterie.
Quand à la voix pure (avec écho) de l’ange Cliff, elle résonne toujours bien, avec ce zest d’ambiguïté qui définissait la production anglaise des tout débuts : les beaux mecs, juste avant les Mods.
Ensuite, une mini rafale des princes du British Beat, qui a bel et bien tout changé : les Troggs et leur imparable chose sauvage (Wild thing), et les merveilleux mal connus Small Faces, véritable bijou anglais, pur, poétique et ultra influent (jusqu’aux Libertines, trente ans plus tard…) Dans le langage Mods, un « Face » était un modèle, un leader.
Et enfin les inévitables Kinks : dandies, hooligans, employés… Les gars du coin, avec un Ray Davies en parrain génial et inspiré…
Et puis, une apparition de Donovan, baladin unique au vibrato naturel.
Et ça continue dans le désordre : une touche de Glam avec Roxy Music, sorte de New York Dolls à l’anglaise, en plus symphonique et style club décadent… Permet de faire l’impasse sur un Bowie déifié.
Le Pré et post Punk à l’honneur : Doctor Feelgood, Pub Rock ultra efficace, jamais égalé. Les Stranglers à la vibration puissante et sauvage pour qui les a vu sur scène. The Damned, groupe pionnier du Punk, très important, parfaitement symbolique, sortes de gothiques brutalistes.
Siouxsie and the Banshees, honorable chamane Punk, so british, mode plus avant-garde. Comme X Ray Spex, et l’inoubliable Poly Styrene, une voix anglo-éthiopienne Dadaïste, au cri perçant comme une sirène de pompier Punk…
The Jam, sorte d’« absolute beginners » à l’énergie Mod-Punk, qui ont marqué une génération, à juste titre.
Un doublé de Ska anglais (vingt ans après les pionniers jamaïcains), hommage appuyé aux Rude Boys, avec Madness et leur grosses suede shoes dans les pas de Prince Buster et de son « One Step Beyond », et les Specials au tempo raffiné…
Il y a même un Lennon redescendu de l’Olympe pour un morceau peu connu « Ming Games », que je ne peux m’empêcher de faire suivre par Vince Taylor, beau choix courageux des Inrocks, pour ce parangon du Rock, absolu, véritable trade mark à lui tout seul, maudit, absurde, Eros et Thanatos en cuir noir, avec gants et médaille olympique.
De même pour Helen Shapiro, une de ces filles sixties, sortie de nulle part, capable de tubes internationaux, slow Pop avec orchestre.
Reste une dizaine de groupes dont je ne suis pas l’historien, vu qu’ils sont passé comme un train d’enfer, mais que j’ai réécouté avec intérêt, saluant le savoir et la curiosité des Inrocks, toujours capables de tirer dans les coins : The Foundations (Soul), The Hollies (baby Beatles), Billy Fury (style 50), Ten Years After (Blues), Tommy Steele (Rockabilly), Love Sculpture (Blues), The Bonzo Dog Doo-Dah Band (parodie), The Idle Race (Psyche ?), Spooky Tooth (Prog rock), Ultravox (New Wave), et même Genesis (Progressive) !
Cette série a le mérite de faire le tour d’Angleterre : Manchester, Nottingham, Cardiff, Birmingham, Carlisle, Londres… Et de sauver des niches musicales, des modes très courtes ou très… barrées.
Je suis prêt à m’exclamer avec vous : « Mais il en manque !!! » Sans blague ? Le pari était trop gros ? Alors, faute de gâteau à étages, nous avons une bonne louche de crème….
Une double galette pour connaisseurs, pas pour goinfres !
Les Inrockuptibles. Rock UK. Volume 1. 60’s et 70’s. Double CD (deux fois quinze titres). Existe aussi en double vinyle. 17 euros. À commander ici.
Visuel en Une © Getty Image / Chris Walter : The Small Faces