À l’origine du web, le LSD.
Les liens entre la drogue et internet sont étroits. Et non, il ne s’agit pas uniquement de la manière dont on peut s’en procurer si facilement dans les recoins les plus sombres du web. Christophe Payet vous en parlait dans Plus Près De Toi, la création du réseau est elle-même étroitement liée à la consommation de drogue.
Pas dans son cadre originel, évidemment. On doute que les militaires américains qui ont créé le projet Arapanet en 1966 aient eu une consommation régulière de LSD. Mais plus, tard, suite à sa récupération par les mouvements hippies, le développement du web tel qu’on le connaît aujourd’hui doit beaucoup aux substances illicites qui ont été un moteur de son évolution.
Merry Pranksters
Littéralement les “joyeux lurons”, les Merry Pranksters étaient un groupe nomade, pionniers du mouvement hippie constitué au début des années 1960 en Californie autour de l’auteur Ken Kesey à qui l’on doit notamment Vol au dessus d’un nid de coucou.
En 1964 Ken Kesey et sa bande sillonnent les États-Unis dans un bus multicolore, nommé « Further » (« plus loin ») pour promouvoir la consommation de drogues. “À l’inverse de nombreuses communautés hippies de l’époque, celle-ci ne rejetait pas la technologie en soutenant un retour à la nature”, explique Patrice Flichy dans The Internet Imaginaire. “À l’inverse, ils voulaient réussir à allier un mode de vie naturel avec la technologie pour pouvoir s’évader de la réalité qui leur paraissait conformiste. C’est pourquoi ils consommaient du LSD, une drogue artificielle, et de nombreux outils électriques pour manipuler le son.”
Tournés vers l’individu, l’esprit, l’émancipation, la créativité, les hippies vont rapidement s’approprier la technologie, grâce à des personnes qui font le lien entre ces communautés et la recherche informatique. Parmi les Merry Pranksters, il y a notamment Stewart Brand, qui amène, selon la biographie écrite par Fred Turner, le LSD dans les laboratoires de recherche informatique du Stanford Research Institute, mais aussi introduire la micro-informatique chez les hippies et l’associer étroitement à la consommation de LSD.
En 1995, ce penseur de la contre-culture américaine, devenu un cowboy nomade, écrivait dans Time magazine un article intitulé “Nous devons tout aux hippies” dans lequel il déclarait : “Oubliez les manifestations contre la guerre, Woodstock et les cheveux longs. Le véritable héritage des années 1960, c’est la révolution informatique.” Et c’est le moins qu’on puisse dire.
Il se trouve que la communauté hippie a vu dans l’informatique, auparavant réservée aux caves des universités américaines ou gardée jalousement secrète par les entreprises, une révolution en totale adéquation avec leurs principes.
“Le micro-ordinateur est un nouveau LSD”
Voilà ce qu’écrivait Stewart Brand dans Rolling Stone en 1972. Par le biais du micro-ordinateur et de l’informatique, c’est une nouvelle façon de se lier aux autres et de créer ensemble et de partager l’information qui est recherchée. Ken Kesey et Stewart Brand ont d’ailleurs organisé en 1966 le Trips Festival qui mélangeait LSD, musique hippie et happenings psychédéliques multimédias.
Comme les hackers aujourd’hui, il fallait une population capable de penser hors d’un cadre académique ou institutionnel pour éviter qu’internet finisse comme le minitel. Les hippies s’en sont chargés. La drogue, mais surtout l’utopie et la volonté émancipatrice face à un système jugé comme contraignant sont à la base du développement de l’ordinateur, et d’internet.
Internet a bien rendu à la drogue et aux hippies ce qu’ils lui ont donné. Quand le mouvement hippie a commencé à s’essouffler, à la fin des années 1970, les différents groupes se sont tournés vers les premières communautés virtuelles, notamment les forums.
Stewart Brand a d’ailleurs créé The Well (Whole Earth ‘Lectronic Link) en 1985, l’une des premières communautés virtuelles, ancêtre de Facebook, qui offrait à ces communautés déçues un nouveau territoire d’exploration et de rencontre.
Le darknet, dernier bastion des hippies
Aujourd’hui, internet reste un terrain d’expérimentation et notamment dans le domaine bien particulier (attention, surprise) de la drogue. Sa consommation, plus précisément. Notamment grâce au Darknet, sur lequel on peut trouver à peu près tout et n’importe quoi dans un anonymat généralisé.
En allant chercher de la drogue (mais pas que), on peut donc se confronter au web tel qu’il était il y a quinze ans et comme il est resté sur le darknet. Anonyme, expérimental, utopique, hors du giron des GAFA et loin de la collecte de données. Même depuis la fermeture de Silkroad en 2013, le marché de la drogue sur le darknet est en pleine expansion.
Par ailleurs, la consommation de drogue est largement documentée sur le web. Certains sites collaboratifs comme Leafly recensent toutes les formes de drogues et les effets qu’elles procurent. Sur le principe du crowdsourcing, chacun va donc s’empresser d’aller raconter son ressenti en ligne, ce qui a donné naissance à une véritable base de données de la drogue.
Cette recherche scientifique collaborative, c’est aussi un domaine dans lequel la drogue a emmené le web vers l’innovation. Et ce toujours selon les mêmes codes, le partage d’information, la rencontre de l’autre, la création d’une oeuvre commune. On ne perd pas les bonnes habitudes.