Le label Habibi Funk ressort « Mouasalat Ila Jacad El Ard », l’unique album d’un Libanais engagé.
En musique, il y a certainement autant de profils que de musiciens pour les incarner. Certains composent pour s’occuper, d’autres pour se divertir, ou parce qu’ils ont pris l’habitude de le faire. D’autres en font aussi, de la musique, simplement parce qu’un parent, proche ou éloigné, le faisait avant, et qu’il est bien vu, dans certaines familles, de perpétuer une certaine forme de tradition. Mentalement, certains disent même qu’ils en ont parfois — souvent ? — besoin. Composer pour se soigner, pour vivre, pour survivre. Pour soi-même, pour les autres, pour qu’on vous regarde différemment lorsque l’on vous croise dans la rue, pour la gloire ? Pour d’autres enfin, composer de la musique, c’est d’abord combattre.
Issam Hajali est de ceux-là. Actif au sein de l’extrême gauche libanaise dans les années 70, juste avant que la guerre civile ne s’abatte sur le Liban durant quinze ans (1975-1990), le chanteur, compositeur, manieur de mots et de folk mélodique, avait dû s’exiler en France, à Paris. Afin de fuir les affrontements qui détruisaient tout et exilaient une partie de la population libanaise en dehors du pays. Des affrontements qui ont failli le détruire très concrètement lui aussi, lui qui a évité de justesse un tir d’un sniper orienté, selon ses dires, dans sa direction…
L’exil se vit, l’exil se chante
De Paris, et après avoir un temps chanté sa mélancolie à qui voulait bien l’entendre — et l’écouter surtout — dans les couloirs du métro, Issam Hajali a sorti Mouasalat Ila Jacad El Ard, un album qui devait être le premier de sa carrière, et qui accueillait un mélange audacieux de musique folk et de musique orientale. Le tout dans une verve jazz progressive qui disait toute la subtilité de la musique d’un artiste qui avait trouvé, avec l’exil et les troubles qui gagnaient alors le Liban, une source d’inspiration dans lequel tant de musiciens ont puisé avant et après lui.
Issam Hajali, au Liban, on le connaît en fait surtout pour la place qu’il occupait dans le groupe, plus pop, mais pas moins sensible, de Ferkat Al Ard. Une formation largement politique, elle aussi, et qui avait sorti dans les années 70 — quelques années après le premier et unique disque solo de son leader — trois albums notables, parmi lesquels le magnifique Oghneya, disque rarissime (et dont les quelques exemplaires qui circulent encore se vendent très cher) qu’un utilisateur de la chaîne a eu la bonne idée, l’an passé, d’héberger sur YouTube. « C’était un mélange absolument unique d’éléments de musique traditionnelle arabe, de jazz, de folk et de motifs brésiliens, avec des paroles à la fois poétiques et politiquement engagées », résume Jannis Stürtz, fondateur du projet Habibi Funk. Grâce à qui on a pu tomber, à notre tour, amoureux du son proposé par ce chanteur qui vit aujourd’hui, loin d’une quelconque forme de célébrité globalisée, dans un anonymat relatif à Beyrouth — une ville qu’il a finie par retrouver — la multiculturelle capitale libanaise dans laquelle il tient une boutique de bijoux népalais, rue Mar Elias.
Habibi Funk, et c’est pour ça qu’on prend la parole aujourd’hui pour évoquer, de manière trop succincte, le parcours de ce chanteur sensible et engagé, réédite le 22 novembre prochain le premier album d’Issam Hajaji qu’il était jusqu’alors absolument impossible de retrouver. En exclusivité, on vous dévoile également le morceau qui ouvre ce disque superbe, le très allongé « Ana Damir El Motakallim », plus de dix minutes de bonheur au service d’un morceau séquencé et progressif. Une sorte de « Stairway to Heaven » libanais période Led Zeppelin IV (1971, soit quelques années avant la sortie de ce disque-là) qui culmine à des hauteurs qu’on ne s’attendait pas forcément à prendre dans l’âme au moment où on a écouté pour la première fois la parole de ce héros méconnu de la musique libanaise que l’on vous recommande donc très chaudement. « Ana Damir El Motakallim » : une porte ouverte sur le paradis, d’où l’on peut plus sereinement parler de l’enfer ?