La chronique de Jean Rouzaud
Vous parler de Janis Joplin (1943-1970) cinquante ans après son décès me fait l’effet de retourner dans une vieille maison abandonnée, témoin de ma jeunesse, où je ramasserais un vieux jeans brodé et troué pour vous le montrer.
27 ans à jamais
Mais Janis Joplin fait partie des « éternels » dont on parle régulièrement, comme on parle des saints de la religion. Avec Brian Jones, Jimi Hendrix, Jim Morrison pour son époque, elle est dans le club de ceux qui sont morts à 27 ans, martyrs de la Pop, tous brûlés vifs.
Jeanne-Martine Vacher s’est lancée sur ses traces et en 560 pages, elle raconte en détail chaque rencontre de tous les proches survivants de l’entourage de « Pearl », la perle du Blues, la « Cosmic Lady » qui a marqué l’Amérique au fer rouge…
Une femme qui dut s’excuser toute sa courte vie auprès de sa famille pour ses moeurs bohèmes, malgré son immense succès planétaire !
Janis était en vif-argent, une véritable comète, un ouragan d’énergie et de révolte, une Texane hors pair, avec une voix unique, déchirante, paralysante pour son auditoire, pouvant déclencher le meilleur et le pire.
On croit tout savoir sur elle, mais chaque témoin apporte sa part de complexité, de contradiction, d’inattendu, de paradoxal sur cette femme à part qui dut s’excuser toute sa courte vie auprès de sa famille pour ses moeurs bohèmes, malgré son immense succès planétaire !
Car on n’imagine pas en France que lorsque Janis se lance, dès 1960, bien AVANT les Hippies, juste après les Beatniks, et qu’elle chante dans les bars, vers 1962, dans les États conservateurs comme le sien, le Texas, une femme n’a quasiment aucun droit !
Nous sommes après les années 50, la guerre de Corée et pourtant, dans les coins « durs » du Middle West, une fille ne porte pas de pantalon, le puritanisme est sans limite, la moindre incartade peut tourner mal…
Janis sera mise au banc des accusées, insultée, et elle devra se planquer dans les premières communautés beatniks, dans les quartiers noirs et latinos, pour pouvoir vivre selon ses désirs.
Cette chasse aux Hippies, aux marginaux, va durer longtemps, car dans les États « machos », on peut carrément abattre à coup de fusil les mecs aux cheveux longs, les routards (voir Easy rider ou Joe, c’est aussi l’Amérique, deux films traitant de l’assassinat de Hippies, vers 1970).
Chaque année, Janis est plus connue : son avance, sa vie d’avant-garde vont finir par payer. Le pays réalise que cette génération est en train d’enfler comme un tsunami, et lui laissera une petite place en Californie.
C’est cette guerre, cette exaspération, que Janis Joplin chante de sa voix écorchée, puissante, presque insupportable parfois tellement elle crie et arrache de sa gorge des sons de Blues, de « Wailer » qui pleure la vie, et oblige l’assistance à ressentir la « chair de poule » dans tout le corps !
On pourrait détailler ses choix musicaux, les grandes chanteuses noires de Big Mama Thornton, Bessie Smith, Odetta, et jusqu’à Aretha Franklin, mais de 1965 à sa mort en 1970 c’est une explosion de genres musicaux, qu’elle a TOUS pratiqués : Country, Folk, Soul, Blues, Funk, R and B, Rock et même du Jazz, du Free et des genres de Bluegrass…
Alcools, joints, cachetons, héroïne…
Cette hyper active, affamée de vie, va parallèlement dompter sa frénésie à coup d’alcool, puis de joints, comprimés et enfin héroïne pour le baiser de la mort… Sa consommation stupéfiante fut à la hauteur de sa passion.
La vie trépidante de cette femme-lionne, entre Peace and Love et Hell’s Angels, est à la mesure du bouleversement que va connaître l’Amérique entre 1965 et 1975 (face à la guerre du Vietnam), où le conflit des générations fut d’une grande violence, encore occultée aujourd’hui.
En dix ans, les mœurs américaines firent un bond d’un siècle.
Sur la route de Janis Joplin de Jeanne-Martine Vacher. Éditions Le Mot et Le Reste (cette collection propose des dizaines de chanteurs et de genres musicaux). 560 pages. 30 euros.
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