Cet étudiant du master de création littéraire du Havre nous ouvre les paupières sur une dystopie où les yeux sont toujours secs. Pour raviver les larmes, une loi rend soudain les manifs « obligatoires » et les CRS… très attractifs.
« Il était resté trop longtemps enfermé (…) Tout avait fui. » Dans A4, l’une de ses pièces sonores confectionnées par temps de confinement, Jean-Christophe Cros imagine la trajectoire d’un homme qui décide de « sortir, pour reconstruire l’avenir, une nouvelle ligne, une nouvelle possibilité ; même sur un kilomètre, c’est déjà bien ; envisager la suite, même pour une heure, c’est déjà ça. Mais le temps et l’espace avaient disparu. » Son héros ne se laisse cependant pas abattre : il imprime cinquante attestations gouvernementales et construit « la seule chose qu’il savait faire : un bateau en papier ». Il se rend alors jusqu’à l’océan mais, flûte, l’océan s’est fait la malle lui aussi. Pourtant, l’homme « s’enfonce dans l’eau absente, jusqu’à ce que la conscience n’ait plus pied ». Or, progressivement, « le bruit des imprimantes se mit à envahir toute la ville. De plus en plus de gens arrivèrent là où il n’y avait plus de sable, plus de bord, plus d’écume, les bras chargés de photocopies. »
Cette histoire, qui rappelle les nouvelles de Julio Cortázar, possède quelques points de fuite avec le futur imaginé par cet étudiant du master de création littéraire du Havre, ex-professeur d’arts plastiques qui s’intéresse de près à l’image et au « bruit », à bord de notre Arche (constituée, elle, de papiers, mais pas seulement). Dans Lacryma, texte qui deviendra « peut-être » un roman, Jean-Christophe Cros nous ouvre les paupières sur une dystopie où plus personne ne pleure : les canaux lacrymaux sont bouchés, d’abord ceux des enfants, puis ceux de toute la population mondiale. « L’être humain ne sera plus capable de verser la moindre larme, sans un rituel bien précis. » Lequel ? « Les manifestations deviendront obligatoires. La manifestation deviendra principe fondamental de vie. Le gaz lacrymogène sera l’unique moyen de générer une forme d’eau. Le gardien de la paix sera élu plusieurs années d’affilée : gendre idéal. » L’amour, cette façon méconnue de tenir tête aux violences policières.
Pour écouter les pièces sonores de Jean-Christophe Cros, c’est ici : https://soundcloud.com/jc-cros
Image : Un pays qui se tient sage, de David Dufresne (2020).