Archives d’Afrique.
Les générations redécouvrent les films de Jean Rouch, comme une mémoire indispensable, à travers festivals, ciné-clubs, cinémathèques, vidéos, coffrets…Cet amoureux de l’Afrique, ami de la maison Actuel Nova, fut doc un roi de la transmission de la world culture africaine.
Pionnier de l’ethno-fiction
Que dire de l’ homme qui voulait « des semelles de vent », toujours en quête de regard, d’enseignement sur l’Afrique ? Pionnier de l’ethno-fiction, il a tenté de tout montrer sur le Niger et le Mali, ses pays de prédilection, revenant tourner pendant plus de trente ans.
Issu de la Nouvelle Vague, il bouleverse le « cinéma-vérité » en ramenant des documentaires extraordinaires sur les vrais africains et leurs rites complexes, comme Lévi-Strauss l’avait fait en Amazonie sur les sociétés amérindiennes, et leur organisation. Sauf que Jean Rouch ne croit pas à l’étude ethnographique purement scientifique…
Il reviendra sur les Dogons et leur cosmogonie poétique, nous fera ressentir la magie des cérémonies africaines, le seul pays où l’on pouvait encore guérir la folie par un théâtre symbolique et cathartique.
Quand j’ai vu Les maitres fous, j’ai été sidéré par la force du film : la première fois que je voyais les rites expliqués et vécus sous mes yeux. Dans La chasse au lion à l’arc, j’ai admiré la décontraction savante et la patience des chasseurs, atteignant leur but avec presque rien.
Rouch l’anarchiste
Mais il y a aussi de la philosophie quotidienne, de l’aventure burlesque, un esprit libre qui partage avec les Africains un goût immodéré et paradoxal qui mélange tradition et improvisation. Rouch l’anarchiste…
Dans Cocorico monsieur poulet, un vendeur de poulets en 2 CV camionnette nous entraine dans un voyage épopée. Les « faut pas rêver » de nos télés aujourd’hui sont les petits enfants pauvres de Jean Rouch.
Sur les traces du grand ethnologue, ami et maitre, Marcel Griaule (spécialiste des Dogons et grand défenseur de l’Afrique), mais aussi de Robert Flaherty (Nanouk l’esquimau, 1922, LE film sur les inuits), Rouch propose le regard direct, les images, la vie visible, puisque les caméras se sont allégées ! Il va réaliser des archives uniques, juste à temps, grâce à sa capacité à communiquer, et sa passion de filmer.
De la tradition anthropologique, en passant par fiction et humour, il nous montre une Afrique inconnue, surréaliste, passionnante : sept ans de tournage sur les Dogons du Mali, et autant au Niger.
Dans la rafale des décolonisations en Afrique (1950-60), la passion inhabituelle de Rouch lui valut des critiques. Ousmane Sembene (grand réalisateur sénégalais) le traita d’entomologiste, observant les Africains comme des insectes ! Mais il continua grâce à des liens amicaux, tissés pendant des décennies en Afrique…
Jean Rouch était vif, communicatif, tenace, curieux et il a fait entrer dans le documentaire l’esprit Nouvelle Vague, touchant à tous les aspects de la vie, élargissant les règles et assouplissant la discipline pour des archives toujours pratiques et intelligentes, créées dans l’action.
Une mémoire vive, directe et décomplexée, presque désinvolte. On ne saura jamais vraiment ce qui fascinait tant ce Français dans ces pays d’Afrique de l’ouest. Il y trouvait l’écho de bien des questions humaines, avec, comme réponse, des façons de faire ancestrales.
Jean Rouch a disparu en 2004 au Niger (accident de voiture !), il aurait 100 ans cette année.
Les Éditions du Montparnasse sortent une série de vidéos;
– coffret collector de 10 DVD, soit 27 films inédits. Mais aussi un coffret 4 DVD avec 10 films africains des années 50 et 60, et bien d’autres documents des années 70 aux années 90 (partenariat avec le CNC, la fondation Jean Rouch et l’association centenaire Jean Rouch 2017).
Voir le site éditions du Montparnasse. Voir également l’exposition à la Bibliothèque Nationale de Paris.