Cigare, grande gueule, Kerouac, Allemagne, Astérix, et même Michel Berger
Le monde des cigares est en deuil. Jérôme Savary, qui en cramait deux par jour, a déserté le rayon « fumeurs » et, du coup, la vie. Soyons honnêtes, c’est surtout le monde des bateleurs du théâtre qui pleure la perte de l’un des siens. Car Savary était un sacré membre de l’informelle confrérie.
Et être grande gueule, dans les années 68-70, c’est une prime à la création. La vraie, celle qui a un pied dans la rue, l’autre sur les scènes. Remember « Zartan », qui a bousculé bien des certitudes du théâtre, dribblant les cérébraux comme les boulevardiers.
Jérôme est né à Buenos Aires (ado, il a fréquenté Copi, le dessinateur et homme de scène qu’il a retrouvé à Paris), a fait un bout de route avec Kerouac et Ginsberg aux USA, et rassemblé suffisamment d’agités, de branques et de foutraques pour en faire une troupe, ou plutôt un bazar, « Le Grand Magic Circus ». Une grande époque pour un théâtre débarrassé de ses codes coincés… sauf que la marmite finira par exploser.
Le ressac soixante huitard le conduit à rebondir un moment en Allemagne, toujours pour mettre en scène ; là-bas, le côté extravagant, au bord du décadent berlinois, plaît. Puis Montpellier, Lyon… Ah ça ! on ne peut guère le classer dans la rubrique « parisianiste ».
Et c’est la France des institutions qui le rattrape, en 1988, le voilà propulsé à la tête du théâtre de Chaillot. Un joujou à la mesure du gouailleur, il passe d’Asterix à Shakespeare, de Brecht à Michel Berger (si ! si !), de Rigoletto à La Périchole (Verdi à Offenbach !), avec la même truculence. Et de 2000 à 2007, il donne un sacré coup de lifting à l’Opéra Comique, vrai navire amiral des scènes parisiennes, passant des Zazous de la guerre à Cuba de maintenant.
La gouaille de Savary est parfois hors sujet, voire pompante, il en fait des caisses. Avec ses chapeaux tous formats, ses costards lie de vin et ses pompes volontiers bicolores, il fait partie du paysage. Mais il ne s’arrête jamais, pas loin de 200 mises en scène, et autant de rôles sur les planches. L’homme est un bosseur frénétique, que seule la mort pouvait calmer. Le monde du théâtre va paraître bien éteint, ces jours prochains.
Alors, chapeau, l’artiste. Ou plutôt non, cigare l’artiste.