Au This Is Not A Love Song, rencontre avec un groupe mythique.
Le This Is Not A Love Song de Nîmes est-il le festival de rock indépendant le plus exigeant de tout le territoire hexagonal ? Underground et niché, quoique franchement cool, le TINAS fête cette année sa sixième édition en compagnie de Beck, de Phoenix, mais également de The Jesus and Mary Chain, le groupe écossais des frères Jim et William Reid qui ont grandi du côté de la cité populaire de Glasgow. L’an dernier, ils sortaient Damage And Joy, leur septième album. Et puisque pour la première fois, Radio Nova émettait directement en direct de Paloma, le lieu qui accueille tous les ans le festival et ses quelques 15 000 festivaliers annuels, Aurélie Sfez s’est calée une petite demi-heure aux côtés des deux têtes pensantes du groupe qui, dans les années 90, ont popularisé le son, sombre et sonique, de cette noise pop shoegaze, post-punk, culte.
The Jesus and Mary Chain, est-ce que la joie de jouer ensemble est revenue ? Votre album se nomme Damage and Joy, et il raconte les fissures, les ruptures, une réconciliation … Il y a ce morceau, « War on peace », est-ce qu’il parle de cette période tourmentée quand le duo n’existait plus ?
Jim Reid : La joie de jouer ensemble n’a jamais vraiment disparu.
William Reid : La chanson parle de la vie en général, le fait de vivre sur terre en tant qu’être humain tout simplement.
Jim Reid : Elle décrit l’impression que nous avions, celle d’avoir été oublié. Le sentiment d’être devenu anecdotique, un moment où nous n’étions que l’ombre du groupe. On sentait bien que plus personne ne s’intéressait à nous. War on peace est une chanson blues, pas dans le sens musical, pas dans la forme, mais dans le ressenti d’ « avoir le blues ». C’est une chanson sur la dépression. Je ne n’y avais pas pensé avant que tu me poses la question. Finalement, elle me fait penser à cette chanson de Johnny Cash, « The Folk Singer », qui raconte l’histoire d’un gars que tout le monde a oublié alors qu’il avait l’habitude de jouer devant des foules. Nick Cave & the Bad Seeds en avaient fait une reprise.
Dans votre cas, vous n’avez pas été oublié…
Jim Reid : Cette chanson parle d’une période assez ancienne, The Jesus & Mary Chain n’existait plus, surtout au Royaume-Uni, nous étions tombés dans l’oubli. C’est toujours le cas aujourd’hui, d’une certaine manière.
William Reid : Au Royaume-Uni, les gens n’ont pas de respect pour nous. Vous connaissez le magazine NME ? Eh bien je suis bien content qu’il soit mort et enterré ! Ce que Jim veut dire, c’est que depuis notre retour en 2007, il y a ce petit monde de la musique indé au Royaume Uni qui n’a aucun respect pour nous et pour qui, nous sommes complètement oubliés. On a fait notre retour en 2007 et aucun journaliste du NME, n’est venu à nos concerts, personne n’a écrit de critique. Personne ne nous a jamais demandé la moindre interview, parce qu’ils ne nous respectaient pas. De fait, le NME est mort et nous sommes toujours là ! Amochés, mais toujours vivants !
Vous avez grandi dans la banlieue de Glasgow, dans la bourgade d’East Killbride, dans un milieu ouvrier. Chez vous, la vie n’était pas toujours rose. Est-ce que le rock vous a permis de fuir ce milieu ?
William Reid : Nous étions pauvres, pauvres mais heureux.
Jim Reid : …et voilà, j’étais sur le point de dire quelque chose d’important et il m’a interrompu… Ce que je voulais dire, c’est que ce qui est intéressant avec East Killbride, c’est à quel point cet endroit n’a rien d’intéressant… C’était comme être sur la Lune. On regardait la télé, où de Londres, on nous parlait de David Bowie, du punk… Des gens comme John Peel nous racontait le rock à la radio. Et je crois que c’est parce qu’on a grandi dans cette ville que nous avons fait encore plus d’efforts. Si on avait grandi à Londres, on n’aurait sans doute jamais formé un groupe. Etre d’East Kilbride, c’est le fondement de tout en réalité. East Kilbride était comme un tout petit étang, si nous voulions laisser une trace dans ce monde, ça ne pouvait pas être là-bas. Il fallait qu’on parte pour réussir, et c’est ce qu’on a fait.
Jeunes, vous faisiez des K7. Que reste t-il de cette pratique lo-fi et artisanale dans votre manière de forger la musique ?
William Reid : On a toujours tout fait nous-même. C’est de l’artisanat. On a travaillé avec Youth cette fois-ci en studio pour produire Damage And Joy, mais on n’arrête pas de bricoler mon frère et moi. J’adore les trucs lo-fi, même si on n’a pas toujours fait ça. L’album April Sky par exemple n’était pas lo-fi, mais bien plus produit ; si tu entends ce grain dans notre musique, c’est probablement parce que c’est toujours nous, nous deux en train de faire un disque.
Jim Reid : Moi aussi j’aime la musique lo-fi. Je pense qu’on peut faire un album sur un ghetto-blaster. Ça pourrait être un très bon album, ça dépend comment tu l’enregistres. J’ai toujours voulu faire un album sur un ghetto-blaster. Je j’appellerais « ghetto-blaster ». Je n’ai pas encore eu le temps de le faire.
Votre premier album Psychocandy (1985) a fait école. Il a donné naissance à toute une scène noise, shoegaze (Sonic Youth, Pixies…) Vous n’auriez jamais imaginé ça à l’époque ?
Jim Reid : Tu vois, l’autre jour on parlait à quelqu’un, à notre manager je pense, du master de notre album Psychocandy en se demandant s’il n’était pas perdu. Mais en fait je m’en fous, parce que quand on sera morts, je ne veux pas que que quelqu’un revienne presser cet album, parce qu’il commencerait par dire : « On n’entend pas la basse, on n’entend pas la batterie etc ». Il y a des choses qu’il ne faut pas changer, des choses auxquelles il ne faudra jamais toucher.
William Reid : Qu’on était en train de faire un super disque ? Moi oui je le savais. Je me revois encore dire à la maison de disque. On était vraiment imbus de nous-mêmes à cette époque. On disait : « Vous verrez que dans vingt ans on écoutera encore Psychocandy ! » Et les gens se foutaient de nous. J’entends encore les rires…
Jim Reid : On s’en prenait plein la gueule à l’époque. Le mot « hype » était beaucoup utilisé pour qualifier The Jesus & Mary Chain. Plein de gens pensaient qu’il n’y avait pas de substance. Les gens nous demandaient ce qu’on ferait dans cinq ans et on leur répondait qu’on ferait exactement la même chose et qu’on était là pour durer. Tout le monde pensait qu’on allait se consumer en dix minutes. On adorait des groupes comme 13th Floor Elevator et on imaginait des gosses de treize ou quatorze ans écoutant Psychocandy en se disant » Putain c’est ça que je veux faire ! »
The Clash, The Velvet Underground, ces groupes ont eu de l’importance pour vous, ils ont été fondateurs…
Jim Reid : Oui, pour nous ça a été des étapes très importantes. Je crois qu’avec le punk, on s’est dit pour la première fois que des gens comme nous pouvions faire de la musique. On aimait tous les deux la musique, mais on ne s’était jamais dit qu’on pouvait en faire passer à « Top of the pops ». C’était réservé aux londoniens ou à d’autres, mais ce n’était pas pour nous. Avec le punk, nous étions enfin concernée, l’éthique punk avait du sens. Le Velvet Underground a été une révélation. C’était comme si j’entendais une chanson de Burt Bacharach avec Einstürzende Neubauten en arrière plan.
Et chez vous à la maison, personne ne faisait de la musique ?
Jim Reid : Non, personne. Nos parents chantaient à table, quand ils avaient un peu bu, mais personne ne jouait d’un instrument. Rien.
Comment ont-ils réagi au début quand vous avez fait vos premiers morceaux ?
Jim Reid : Au début, ça ne les intéressait pas vraiment. Ils étaient pluôt embarrassé. Il faut bien le dire, à l’époque dans le quartier tout le monde nous prenait pour des tarés. On avait des cheveux bizarres, on ne voulait pas faire comme tout le monde. Et je pense que nos parents auraient préféré avoir des garçons qui allaient au pub ou des trucs comme ça. Et en fait c’est quand le succès est arrivé qu’ils se sont rendus compte qu’on n’étaient pas des barjots mais qu’on avait eu un plan, un plan depuis le début.
William Reid : Quand on a commencé à avoir un peu de succès commercial ils étaient encore plus déconcertés. Ils ne comprenaient pas que les gens aiment notre musique.
Jim Reid : Et on a gagné de l’argent. Jusque-là ils n’avaient ils ne nous avaient jamais pris au sérieux, ils auraient préféré qu’on arrête.
Vous avez dit si au journal The Guardian : » La pop c’est horrible, si tu allumes la radio t’entends que de la merde » . Vous êtes-vous réconcilié avec la pop ou c’est peine perdue ?
Jim Reid : Oui j’ai dit ça, c’est vrai. Je suis sûr que plein de gosses, s’ils tombaient sur cette interview, se diraient « quel vieux con, qu’est-ce qu’il en sait ? » Peut-être que je ne sais rien, mais je me fie à mes oreilles. J’en ai beaucoup entendu de la pop avec ma fille de 15 ans qui noue fait écouter sa musique en voiture, ça me rend complètement dingue ! C’est affreux, je déteste. C’est juste mon opinion, je trouve ça tellement commercial et superficiel.
William Reid : Je n’y connais rien en pop, mais il me semble qu’on est comme à la fin des années 50. Avant les Beatles et les Stones. Aujourd’hui, les mec font un album par an. Je crois que l’année dernière Drake a sorti cinq albums. Même les Beatles ne pouvaient pas sortir cinq albums de qualité. Ce que j’aime dans la musique, c’est l’écriture. Maintenant ce sont les producteurs qui font les albums. Si tu regardes les crédits d’une chanson pop, il y a dix-sept personnes dedans. C’était comme ça à la fin des années 50 début, la musique était tenue par des hommes à gros cigares. J’ai l’impression que ça recommence.
Jim Reid : La seule chose positive, c’est les paroles, elles sont bien plus profondes et matures qu’à notre époque. En général les chansons que mes enfants écoutent ont des textes évanescents mais certaines paroles sont vraiment fortes. Ca parle de sexe, de drogue, des gens aux tendances suicidaires. C’est incroyable ce que tu peux te permettre et ça passe à la radio pendant la journée parce que ça sonne pop. Tu peux l’entendre vingt fois et la vingt-et-unième fois, tu te dis, « Mon Dieu, cette gamine est en train de raconter qu’elle va se faire exploser la cervelle, je n’avais pas fait gaffe. Peut-être qu’elle devrait ! »
Vous aimez la France ?
William Reid : J’adore la France. J’ai eu une petite amie francaise pendant à peu près cinq ans. C’était dans les années 80.
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