La chronique de Jean Rouzaud.
Cette expression des « jeunes hommes en colère » vient d’un mouvement littéraire anglais, surnommé « Angry Young Men », entre 1955 et 1960, ayant donné des livres (best-sellers), des pièces de théâtre et des films, et une génération d’acteurs. Une révolte écrite, jouée, clamée sur scène…
Ras-le-bol
Depuis quelques années on se ré-intéresse à ce mouvement de « ras-le-bol », ayant eu lieu à Londres et ailleurs dans les années 50 : ma théorie est qu’après la guerre, les morts, les bombardements, puis encore des privations, un pays ruiné et une reprise qui ne venait pas, pas mal d’Anglais ont craqué.
Malgré les grandes déclarations de Churchill (qui n’avait jamais cessé de fumer son cigare et de boire son Brandy), pendant que les soldats british avaient donné leur vie, stoppant net l’aviation allemande au prix fort, puis débarqué en Afrique comme en France… Il leur fallait encore reconstruire, redresser les pays dans des usines, bref la dureté et les sacrifices duraient depuis plus de vingt ans !!!
Les Éditions l’Échappée viennent de ressortir un des grands succès de cette révolte (non sans mal, vu le mépris des éditeurs anglais et français) : Samedi soir dimanche matin, ou la vie d’un ouvrier qui trime et tente de se défouler le week-end !
Une vision réaliste et crue du quotidien des travailleurs, qui avait scandalisé l’Angleterre et avait lancé un auteur : Alan Sillitoe (de milieu ouvrier, ancien combattant en Malaisie) mais aussi le film Saturday night Sunday morning (1960), succès énorme aussi pour le réalisateur Karel Reisz (réfugié tchèque engagé dans la RAF, puis animateur du « Free cinema », social et politique, avec Lindsay Anderson et Tony Richardson), et évidemment pour l’acteur Albert Finney (acteur anglais oscarisé pour CE film. Interprète shakespearien avec Peter O Toole et Alan Bates. Célèbre pour son rôle dans Tom Jones. A joué ensuite avec tous les grands réalisateurs !).
Entre Zola, Bukowski et Céline
Le texte est trépidant, fort, sans aucune concession : du Emile Zola, version Charles Bukowski, avec un zest de Céline ! C’est violent, émouvant, parfois terrible, cette âpreté, quelques années avant le « swinging London » et les Beatles. Alcool, sexe, boulot et bagarres !
On est pris par la tragédie d’une réalité trop dure, qui ne manque pas de mettre en cause un gouvernement anglais et des institutions mesquines pour les travailleurs, et une mentalité arriéré, presque XIXe siècle.
Seules les beuveries du samedi soir égaient ces vies de labeur, et se terminent en baston ou en coucherie, le héros du roman étant un dragueur invétéré, menacé par des maris dangereux…
Une leçon de vie et de lucidité, dans un milieu ouvrier étroit, dur, parfois haineux, ou chacun essaie de s’en sortir…
Samedi soir, dimanche matin d’Alan Sillitoe. Réédité par les Éditions L’Échappée, collection Lampe tempête. 380 pages. 20 euros.
Voir aussi l’excellent Life at the Top de Ted Kotcheff en 1965, avec Laurence Harvey, d’après John Braine : suite de Room at the Top (1959, même acteur. Réalisé par jack Clayton) sur l’ascension illusoire et déçue d’un employé.
Les mouvements et les luttes sociales sont encore une spécialité du cinéma britannique (Ken Loach, Lindsay Anderson, Stephen Frears…)
Visuel © Saturday night Sunday morning