Dans le Nova Club, David Blot a rencontré le guitariste des Smiths à l’occasion de la sortie de sa biographie, « Set The Boy Free ».
L’ancien Smiths Johnny Marr était de passage à Paris courant décembre à l’occasion de la sortie de Set The Boy Free, sa biographie parue aux éditions Le Serpent à Plumes. Entretien culte pour le Nova Club.
C’est l’une des meilleures choses avec la musique pop : elle emmène des sujets subversifs dans le mainstream
On a appris début décembre le décès de Pete Shelley, le chanteur des Buzzcocks. Racontez-nous un peu, pourquoi les Buzzcocks ?
Johnny Marr : Les Buzzcocks étaient vraiment très importants à Manchester. D’abord parce qu’ils avaient du succès, mais aussi parce qu’ils étaient chez eux. Ils étaient DIY, et ils étaient punk, mais sans être en colère, pas vraiment politisés. Ils étaient plus impliqués politiquement au niveau de la sexualité. La voix de Pete Shelley, dans les années 70, était considérée comme étant gay, et c’était très courageux et très radical. Bien plus radical que ces groupes qui parlaient de chômage. Ce qui était encore plus impressionnant, c’est qu’ils avaient vraiment beaucoup de succès. Tous leurs singles, « What Do I Get » , « Love You More », « Ever Falling In Love », tous avaient une volonté très subversive. C’est l’une des belles choses de la musique pop : elle emmène des sujets subversifs dans le mainstream .
Les punks ont mis fin à cette centralisation de Londres dans les médias
En allant sur place, je me suis rendu compte que Manchester et Liverpool étaient à seulement 45 minutes de voiture. Comment est-il possible que, avant les Buzzcocks en 1978, il n’y ait rien à Manchester, alors qu’à côté à Liverpool, ça explose ?
Johnny Marr : Si, il y a quand même eu 10 CC, les Herman’s Hermits, les Bee Gees aussi… Et puis les Beatles sont partis de Liverpool ! Il n’y avait pas la culture de dire « restons chez nous, en province ». Dans les années 60, tout le monde allait à Londres, les Beatles se sont barrés à Londres. La scène de Liverpool était une exception, il n’y avait pas de grosse scène comme ça à Newcastle. Évidemment il y avait The Animals, mais après, ils sont partis à Londres. Il n’y avait pas vraiment de scène de Glasgow non plus…
Ce qui est le cas aujourd’hui ?
Johnny Marr : Oui. Les punks ont mis fin à cette centralisation de Londres dans les médias. Les Buzzcocks ont fait le tout premier disque en indépendant, et en partant de rien. Quand le reste du pays a vu ça, tout le monde s’est dit « on peut faire un disque avec notre propre argent ! ». Puis il y a eu Postcard Records à Glasgow ou Zoo à Liverpool, tout ça parce que les Buzzcocks les ont inspiré.
Tu racontes dans ta biographie cette première rencontre avec Patrick Morrissey, qui deviendra le chanteur des Smiths. Pourtant, si les Smiths sont vraiment un groupe des années 80, il n’y a pas de synthé, pas de groove, ça n’est pas le son de Manchester, de New Order.
Si tu avais frappé à la porte et que c’était Neil Tennant des Pet Shop Boys – un lyriciste hyper brillant comme Morrissey mais beaucoup plus dance – tu aurais pu faire de la dance music. Mais à 18 ans, tu toques à cette porte avec la volonté de « faire un groupe ».
Johnny Marr : Oui, tu as besoin d’être dans un groupe, sauf si tu es un chanteur solo. C’est ce qui doit se passer, un groupe est un groupe, et il n’y avait pas d’autre option pour moi. C’est ce que faisait Matt Johnson avec The The. Avant de former les Smiths, il faut comprendre que j’étais presque un membre de The The. Ça a surpris beaucoup de monde que je connaisse Matt Johnson avant le début des Smiths. Il y avait d’autres gens comme Colin Newman, Thomas Leer ou Softcell… Je voulais un groupe et je voulais vraiment un groupe de guitare. J’avais une idée du genre de musique que je voulais faire, donc je n’aurais pas fait un disque dansant à ce moment là.
La seule autre option était de rejoindre The The avec Matt Johnson. C’était soit être dans ces débuts ou alors former mon propre groupe. Je suis retourné chez mes parents, après que tous mes amis aient vraiment déconné avec la drogue, j’ai fini tout seul, juste avec ma copine. Je n’avais que 16 ans, et j’ai utilisé ma chambre comme un laboratoire. J’avais ma guitare avec deux pédales d’effets et une machine d’enregistrement où je ne pouvais enregistrer que trois pistes. J’expérimentais, j’essayais de trouver un nouveau style, j’étais vraiment inspiré par des girls bands comme The Shangri Las, The Crystals… J’ai voulu utiliser cette sorte de changement d’harmonie des Shangri Las, mais avec le style des groupes punks comme Television. Et c’est ce qu’on a fait.
J’avais promis de ne te poser aucune question sur les Smiths, on a parlé un peu de l’avant et on arrive à l’après, la fin des Smiths. On est en 1987, c’est le groupe numéro 1 indé en Angleterre, et puis vous vous séparez. Parce que Morrissey est un sacré loustic, très manipulateur, et que toi qui a fondé le groupe te retrouve à être le mouton noir de la presse anglaise, de celle qui ne vous lâche vraiment pas.
Il y a même des gens qui te jettent des pierres. Tu as 23 ans, et Paul McCartney t’appelle pour enregistrer un morceau, les Talking Heads aussi, The The… Et le premier qui ouvre cette boucle des méga stars qui t’ont appelé, c’est Keith Richards. Tu nous en dis un peu plus ?
Johnny Marr : À ce moment là il était une légende de la musique, et un exemple pour moi. Son invitation, celle d’aller à Los Angeles pour traîner, passer du temps ensemble et discuter philosophie était un geste vraiment très aimable de sa part. Ça m’a vraiment marqué. C’était fou, je n’avais que 24 ans. C’était une situation très sincère, et philosophique. On a traîné ensemble pendant un moment, toute la nuit, pendant plusieurs jours, et il émanait la sagesse. Il a su que je jouais de la guitare parce qu’on a joué ensemble. Il a pris sa décision à 2h du matin, alors que je jouais juste à côté de lui avec une guitare sèche. Je pense que c’est pour ça qu’il a pensé que j’étais doué. Tandis que quand Mick Jagger est venu voir les Smiths en live en 1986, il était devant la scène, et je pense qu’il a entendu parler de nous dans un magazine. Pour sa part, Keith Richards avait d’autres critères de jugement.
Après avoir joué avec les plus grosses pointures, tu commences à travailler avec New Order, l’autre groupe le plus important des années 80 en Angleterre avec les Smiths. Avec Bernard Sumner, vous vous mettez ensemble parce que vous êtes potes et que vous avez envie de faire de la musique. À ce moment là, tu évoques beaucoup tes soucis avec Morrissey, mais lui semble n’en avoir rien à foutre, peut-être parce qu’il vient de vivre le suicide de son meilleur ami, Ian Curtis. Sa distance te faisait du bien ?
Johnny Marr : Il est vraiment cool, c’est probablement la personne la plus cool du monde. En effet il n’en avait rien à faire de mes histoires, car il respectait les Smiths, tout comme je respectais New Order et que nous étions des amis proches. Il s’inquiétait pour moi que la presse musicale me tombe dessus. Il savait que c’était des foutaises. Il était comme moi, il essayait de s’en sortir. En fait Bernard n’est pas impressionné par les gens, ou quoi que ce soit d’ailleurs. C’est pareil avec Matt Johnson. Les gens qui m’ont accueilli dans leur cercle, étaient juste les bonnes personnes avec qui être ami.
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