Métal Hurlant célèbre son passé en regardant droit devant. Tel un phoenix, le mag est revenu en kiosk en 2021 et fête son demi-siècle et ses projets d’avenir en grande pompes et bien accompagné puisque Nova est allé festoyer et discuter au FIBD d’Angoulême. On a ramené le numéro spécial 50 ans et des histoires à lire et écouter.
Métal Hurlant : deux mots qui éveillent chez beaucoup, je le sais, des nostalgies d’adolescence, de jeune adulte dévorant les planches de science-fiction barjos des éditions les Humanoïdes Associés. Culte est un trop petit mot pour qualifier la revue créée par des copains un samedi soir dans le salon de Philippe Druillet (dessinateur et scénariste de Salammbô, entre autres chefs-d’œuvre) : Jean-Pierre Dionnet, Mœbius, et Druillet. Après avoir dit ciao-bye à la revue Pilote dans laquelle ils avaient commencé à officier après leur rencontre, ils créent un format concurrent, pour envoyer valser la morale, la bienpensance, les codes esthétiques de l’époque. Aidés par l’homme d’affaires Bernard Farkas, le premier numéro du mensuel (qui a failli s’appeler Banane Mécanique !) sort en janvier 1975.
Voilà ce que Jean-Pierre Dionnet écrivait dans l’édito : « Le 19 décembre 1974, à quatre heures du matin heure locale ; aux limites de Livry-Gargan et de la forêt de Clichy ; enfin réunis… …Philippe Druillet, l’enlumineur paranoïaque, Mœbius alias Gir, alias Giraud, alias « le dessinateur aux mille faces », Jean-Pierre Dionnet dit grat-grat, votre serviteur… et Bernard Farkas, venu mettre un peu d’ordre dans nos projets grandioses et un peu d’âme dans nos comptes ; Décidèrent, simultanément et à l’unanimité, de ne plus répondre, désormais, qu’au seul nom collectif de : « LES HUMANOIDES ASSOCIÉS ».
Trop immoral, sexuel, violent, halluciné pour l’époque, il sera aussitôt censuré pour les moins de 18 ans. C’est donc très logiquement à la jeune génération que le mag plaira d’abord, punk et contestataire à souhaits. The rest is history, comme disent ces relous qui font des citations en anglais. Oui, mais c’est à propos, puisque le joyeux bordel parisien conquerra les États-Unis avec un genre d’alter ego américain, Heavy Metal, une parution parallèle qui assura l’héritage de la revue. Métal trimballe un héritage punk immense, au point d’avoir des anecdotes du genre : un Australien invraisemblable qui a un jour débarqué à la rédac de Métal pour proposer aux déglingos de faire un film au nom de la revue qu’il adule. Jean-Pierre Dionnet se souvient aujourd’hui avec un sourcil levé d’avoir gentiment rembarré le bonhomme, qui ce jour-là avait l’air d’un fou et n’était autre que George Miller, qui sortira ledit film, sous le nom de… Mad Max.
C’était il y a un demi-siècle et évidemment, ça se fête, toute cette année, notamment au FIBD d’Angoulême. Nova y va !
Oui, il est bon de parler d’histoire, de se souvenir des immenses dessinateur‧ices passé‧es par ce labo, éditeur de récits chelous, trop chelous pour les éditeurs de l’époque. On se souvient du mythique « Ah ! Nana », magazine parallèle des Humanos publié entre 76 et 78, précurseur de la bande dessinée féministe, assassiné par la censure après neuf numéros… D’ailleurs, l’Histoire avec un big H de la bd de science-fiction peuplait les murs d’une fantastique expo au FIBD d’Angoulême. On ne fait pas de présent sans un peu de passé.
La renaissance de Métal en 2021
Mais nous sommes en 2024 et c’était pas forcément mieux avant. Pour preuve : après une pause en 1987 (ou un naufrage économique au numéro 133, l’histoire se raconte de plusieurs manières), les Humanoïdes Associés ont relancé, en 2021, leur Métal Hurlant. Les mêmes formats courts, 300 pages tous les trois mois, « moins de fautes d’orthographe » et autres erreurs de jeunesse, selon Jean-Pierre Dionnet, qui assure prendre « plus de plaisir à lire Métal aujourd’hui ». Le mag est devenu un « mook », ça veut dire que c’est plus costaud qu’à l’époque, toujours peuplé d’histoires courtes de science-fiction sans limites. Parmi les derniers numéros : « Lovecraft », « Vengeance », « La ménagère de plus de 500 ans », des « Vacances métalliques » ou un best of des meilleurs « Ah ! Nana ». Et (surtout ?) un numéro spécial 50 ans qui sort ce 19 février et mêle le glorieux passé et l’audacieux futur avec des auteurs de la génération Métal des débuts et des nouveaux et nouvelles.
Un numéro spécial 50 ans, Métal Hurlant regarde devant
37 auteurs et autrices pour un numéro qui entend faire honneur aux cinq décennies de rébellion artistique de Métal Hurlant. La maison est toujours ce « laboratoire chaotique et culturel », Marie Parisot la nouvelle directrice, atteste. Et pour expérimenter, Métal ouvre grand les portes aux jeunes autrices et auteurs, avec toujours ces formats courts qui fonctionnent autant « pour les auteurs confirmés puisque c’est une sorte de récréation, entre leurs albums plus longs, et pour les plus jeunes qui ont envie de se faire la main avant d’aboutir à des albums complets », raconte toujours Marie Parisot. Des formats « qui collent bien à l’époque » pour la directrice, « ça correspond aux habitudes des lecteurs de webtoons en épisodes, aux formats réseaux sociaux aussi ». Quant à la new gen qui investit les pages du nouveau Métal Hurlant, il y a celles et ceux qui ont été influencés par Métal dans leur jeunesse et leur construction en tant qu’artistes, mais les 22 – 30 ans ont aussi d’autres références : leur art est nourri de manga, d’animés, de jeux vidéos, de jeux de rôle et de cinéma moderne.
Bientôt un film pour « L’incal » de Jodorowski et Moebius
Si le Heavy Metal a vite été indépendant du Métal français, les Humanoïdes se sont exportés aux États-Unis, avec une nouvelle maison à Los Angeles qui s’emploie à traduire les albums français et bosse aussi sur des projets audiovisuels. Retardé par la grève des scénaristes puis par la crise sanitaire, le fameux film de « L’incal », série culte de bande-dessinée imaginée par Moebius avec le cinéaste Alejandro Jodorowsky avance, nous promet Marie Parisot.
La fête continue
Si vous n’avez pas eu la chance de croiser les Humanos à Angoulême, une revanche s’organise à Paris tout bientôt, et d’autres expositions spéciales sont aussi à venir en France. Il y a les festivals comme à Amiens avec une expo sur la censure, ou pour le lille3000 en avril à Tourcoing… Lolita Couturier, que vous pouvez lire (notamment) dans le numéro des 50 ans et entendre dans notre reportage, sera demain jeudi 20 février au centre Pompidou… Tous les événements sont à traquer ici. « Vous allez encore entendre parler de nous » s’amuse Marie Parisot.