Depuis Bruxelles, ce puissant duo féminin de « R’n’Bitch » ne se fait plus aucune illusion sur l’espèce humaine et sample les colères d’Angélica Liddell.
Lente descente aux enfers. Début juin, notre duo de « R’n’Bitch » préféré, Juicy, publiait un premier extrait de leur premier album à paraître en 2021 « qui relatera toutes les failles de l’Homme ». En démarrant par une petite taloche dans la gueule de la société du spectacle et l’emprise des réseaux sociaux. Sur la vidéo d’I am the one, animée comme celles de Gorillaz, les deux alter-egos maléfiques de Julie Rens et Sasha Vovk ont le teint cadavérique de toxicomanes au bout du roul’ ; étrangement, leur manque d’entrain dans l’existence ne fait guère décoller leurs audiences, les likes et le nombres de vues sont en chute libre. Mais comme le prédisait Network de Sidney Lumet en 1977, filmez la détresse et vos excès, le public en raffole. Alors les meufs en rajoutent dans le trash et se déchirent la tête en livestream, jusqu’à ce que leurs fans leur suggèrent de se suicider, sous l’œil des smartphones et d’un manager extatique. La noirceur du propos est à la hauteur de nos pires comportements digitaux.
De quoi attendre avec impatience ce premier disque qui fera suite à deux mini-albums (Cast a Spell et Crumbs, 2018-2019) et qui, confient ces deux amies « fusionnelles » originaires de Bruxelles, issues d’un même conservatoire de jazz et d’abord connues grâce à leurs reprises de classiques rap-R’n’B des années 90 (Missy Elliott, Diam’s, Justin Timberlake), qu’elles ont l’intention d’« élargir leurs styles ».
En témoigne d’ailleurs un fragment de Youth, dévoilé ce printemps, belle harmonie groove accompagnée d’un orchestre (violons, contrebasse, moult flûtiaux). Mais aussi, peut-être, côté lyrics, ce constat partagé sur le pont de L’Arche de Nova : la nature se contrefout de nos atermoiements, « ni de vos putains de joies ni de vos putains de douleurs », hurle ici Juicy en citant explicitement La Maison de la force, brûlot de cinq heures sur la douleur des femmes et la violence de notre monde écrit et mis en scène par l’Espagnole Angélica Liddell (2009), qui dit : « Aucune montagne, aucune forêt, aucun désert ne nous délivrera du mal que les autres trament à notre intention. » Que préparent Julie et Sasha ? La réponse, dans quelques mois, sera forcément puissante.
Pour revoir le live confiné de Juicy pour Nova, c’est ici.
Visuel : Le Seigneur des Anneaux – Les Deux Tours, de Peter Jackson (2002).