À Marseille, cette massothérapeute imagine une machine baptisée « Orlando », en hommage à Virginia Woolf, capable de projeter les porcs dans le corps des agressées pendant toute la durée de leur peine, sous contrôle judiciaire.
« Je ne pourrai plus assommer un homme, le traiter de menteur en face, ni tirer mon épée et la lui passer à travers le corps, je ne pourrai plus siéger parmi mes pairs, porter une couronne ducale, marcher en procession, condamner à mort, conduire une armée (…) Je serai réduite à servir le thé et à demander à ces messieurs s’ils trouvent ça à leur goût. » En 1931, Virginia Woolf publie Orlando, roman de l’âme égarée d’un jeune courtisan anglais, que l’on suit quatre siècles – or, un jour, après une semaine de sommeil, il se réveille femme, et devient, avec le temps et l’observation laborieuse de la société patriarcale, une poétesse reconnue. « Elle était homme, elle était femme ; elle connaissait les secrets et partageait les faiblesses de l’un et de l’autre. C’était une situation affreusement déconcertante, à donner le vertige. »
Le vertige se poursuit désormais dans la vision futuriste de Julie Andrieu, massothérapeute installée à Marseille. « Arrière-petite-fille d’une sorcière en pays cathare, très honorée de perpétuer sa tradition », cette trentenaire tatouée grimpe sur le pont de notre Arche pour y présenter les plans d’Orlando, une machine capable « de projeter n’importe qui dans le genre opposé au sien, physiquement, au plus près des perceptions. Si je suis homme, je peux devenir une femme, si je suis une femme, je peux devenir un homme – et être perçu(e) en tant que tel(le) aux yeux de la société toute entière ». Consciente de la portée socio-culturelle d’une telle avancée scientifique qui pousserait ainsi la réalité virtuelle à son paroxysme, la justice française décidera vite d’un recours systématique à Orlando pour punir les prédateurs sexuels.
« Pour trois insultes sexistes proférées dans la rue », explique Julie, « l’agresseur vivra trois jours dans la peau d’une meuf ». « Pour une main au cul non consentie, la transformation durera une semaine. Pour les violences physiques suivies ou non d’une tentative de viol, la peine sera étendue à trois mois, avec liberté de circulation, mais sous contrôle judiciaire quotidien. Pour un viol avéré, le coupable vivra cinq ans dans la peau d’une femme, avec sa potentielle vulnérabilité, en subissant au quotidien les conséquences de cette nouvelle enveloppe corporelle. Détail non-négligeable : pour toute la durée de sa peine, l’agresseur prendra l’apparence exacte de sa victime. Devenant lui-même l’objet de son propre désir. »
Image : Harvey Weinstein l’intouchable, d’Ursula Macfarlane (2019).