Le créateur a passé sa vie à se déguiser, en plein de gens, puis en lui-même. Retour sur une vie de Caméléon avec Yvan Jacob.
La Chronique Textile, c’est tous les jeudis à 8h45 dans Pour que tu rêves encore, la matinale de Nova. Vous pouvez lire la chronique de ce jeudi, ci-dessous, ou bien l’écoute, en podcast, ici.
Ce jeudi, on parle évidemment de la mort de Karl Lagerfeld, qui a secoué le monde du textile. Mais plutôt que de parler de Chanel ou du Grand Palais, Yvan Jacob aborde le côté caméléon du créateur. Karl Lagerfeld s’est en effet fondu dans l’ADN de toutes les marques qu’il a dirigées, et s’est fondu dans la peau des autres en reprenant leurs codes.
Finalement, il a un peu révolutionné le vêtement. Car Karl était un excellent technicien, un super dessinateur, mais paradoxalement, on ne peut pas lui attribuer une seule silhouette, à la différence de la silhouette slip d’un Hedi Slimane ou du smoking d’un Saint-Laurent.
Difficile de définir le « style Lagerfeld ». Il faut faire avec ses histoires et surtout avec ses mensonges.
C’est une tâche difficile, donc, que de définir le « style Lagerfeld ». Il faut faire avec ses histoires et surtout avec ses mensonges. Karl n’aimait pas trop la réalité, il disait que ce n’était pas très marrant. Il a donc commencé à raconter beaucoup de trucs faux sur lui-même. Que son père était un baron suédois, que sa mère pilotait des avions, qu’il était né en 33, ou peut-être en 35, voire même en 38. Ça a contribué à créer une légende. À l’image d’un Gainsbourg, qui racontait lui aussi beaucoup de mensonges et noyait le poisson.
Ces mensonges, Karl les a aussi appliqués à ses vêtements, en se créant des personnages, en se déguisant. Enfant, déjà, près de Hambourg, il porte des chemises plissées et des tenues tyroliennes avec des bretelles, comme un grand aristocrate alors qu’il vit dans un petit village et que c’est la guerre, avec toutes les restrictions qui vont avec.
Karl porte les cheveux longs, alors qu’Hitler vient d’arriver au pouvoir et que la norme c’est les cheveux rasés sur la nuque et sur les côtés. Beaucoup plus tard, il racontera d’ailleurs que sa mère aurait traité son instit’ de nazi parce qu’il lui conseillait de faire couper les cheveux de son fils.
Plus grand, dans le Paris des années 70 et des grosses teufs du Palace, Karl laisse libre cours à sa tignasse brune, porte une barbe de trois jours et des débardeurs échancrés, mais aussi des pantalons de flanelle à revers, des chemises à imprimés fleuris, des bottes de mousquetaire sur costume rayé, comme au mariage de Paloma Picasso en 73. Et même un monocle. Là encore, c’est le rôle de l’aristo déjanté. Il veut se démarquer.
Et puis progressivement il s’attache à de petits accessoires, comme l’éventail japonais et la petite queue-de-cheval basse. Au début des années 2000, il perd plus de 30 kilos pour entrer dans les costumes hypers ajustés de Slimane chez Dior. Notamment dans les pantalons noirs étroits qui vont devenir sa signature.
C’est son dernier déguisement, et son coup de génie : devenir une marque et un logo. Les cheveux poudrés, le catogan, les lunettes noires… Ça s’accompagne de nouvelles histoires, pour la légende : son col blanc serait inspiré des cols portés par Walther Rathenau, le ministre, juif, assassiné par les Nazis en 1922, qui fut, soi-disant, le héros politique de sa mère.
Peu importe les raisons, son profil blanc et noir devient immédiatement identifiable. Et se décline sur n’importe quel produit dérivé. Après s’être beaucoup cherché, Karl a fini par trouver son meilleur déguisement : lui-même.
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