Six films restaurés de l’immense réalisatrice sortent aujourd’hui dans les salles obscures.
Ce qu’il y a de bien avec le cinéma, c’est qu’on en a jamais fini de découvrir des films ou des cinéastes. Et nombreux sont ceux qui sont passés sous les radars, et surtout pas passés par les écrans français en ce qui concerne les cinématographies étrangères.
Notamment celle japonaise, où des pans entiers restent à exhumer de ce côté de l’océan Pacifique. Par exemple, la carrière de Kinuyo Tanaka. Ici, on ne connaissait que son compagnonnage avec Mizoguchi pour qui cette actrice a tourné quinze films. Ce qui reste peu sur une filmographie qui en aura compté près de 250 et où s’alignent les plus grandes signatures, Mizoguchi donc, mais aussi Ozu ou Naruse.
Tanaka aura été comme un fil rouge dans l’histoire de la production japonaise. D’une forte présence dans son cinéma muet à sa participation au premier film parlant, mais aussi en étant une de ses stars féminines pendant l’âge d’or des années 50. Tanaka aura suivi les fluctuations de cette industrie, jusque dans sa prestation pendant la seconde guerre mondiale dans des films de propagande, sa transition entre grand écran et télévision puis un come-back fulgurant dans les années 70. Un parcours quasi patrimonial qui ne saurait pourtant résumer la trajectoire de celle qui fut l’équivalent japonais, dans son jeu comme ses rôles de femmes fortes et complexes, d’une Bette Davis ou d’une Greta Garbo.
Kinuyo Tanaka, est officiellement entrée dans l’histoire comme la seconde femme à passer derrière la caméra au Japon
Elle est même entrée officiellement dans l’histoire comme la seconde femme à passer derrière la caméra au Japon. Un choix forcément fort dans un milieu essentiellement masculin. Confirmation d’un caractère bien trempé pour une actrice qui avait défrayé la chronique à la fin des années 40 pour commettre le sacrilège de rompre son contrat avec un studio pour aller tenter une petite aventure hollywoodienne. Les six films qu’elle va réaliser entre 1953 et 1962 remettent les pendules à l’heure jusqu’à laisser se demander si Mizoguchi, un des mentors de Tanaka, ne lui devrait pas sa réputation de cinéaste féministe. Qu’ils s’essayent au néoréalisme ou à l’expressionnisme, naviguent admirablement entre mélo, drames historiques ou récits très contemporain, les films de Tanaka composent un exceptionnel portrait de la condition féminine. Jusqu’à se passer, après Lettres d’amour et La lune s’est levée, de scénaristes masculins.
Là où sa carrière d’actrice lui offrit généralement des rôles de femmes aux destins funestes, Tanaka réalisatrice les fait se redresser, les incite à ne plus courber l’échine. Y compris autour de sujets jugés impossibles dans ces années 50 comme le cancer du sein dans Maternité éternelle. Elle abolit même déjà le patriarcat dans La nuit des femmes, où des prostituées reforment société en allant vivre en communauté en bord de mer.
Au-delà même de ce discours de pionnière, l’intégrale qui sort cette semaine démontre aussi une impressionnante metteuse en scène, avec six films trop longtemps restée dans l’ombre, alors qu’ils sont à la hauteur des classiques mondialement reconnus où elle fut actrice. Étonnamment, elle ne tint jamais le rôle principal de ses propres réalisations, peut-être par écho du sentiment de sororité et de résistance qui émane de ce cycle, mais sa découverte, confirme à quel point devant ou derrière la caméra, Kinuyo Tanaka fut une héroïne.
La rétrospective Kinuyo Tanaka est à retrouver dans les salles obscures à partir du 16 février.